Une stratégie fantaisiste énergie climat

Le gouvernement propose depuis le 22 novembre 2023 une consultation publique sur la Stratégie française énergie-climat qui fait suite à la consultation publique sur la stratégie française énergie-climat volontaire du 2 novembre 2021 au 15 février 2022. Un magnifique exercice de concertation qui jusque-là n’a pas servi à grand-chose, la Macronie persévérant dans sa foi absolue dans l’atome. Le dernier document publié le rappelle. Si ce n’est que le gouvernement éprouve quelques difficultés à traduire ses rêves en acte…

Guillaume Blavette

12/4/202312 min read

On nous avait déjà le coup l’hiver dernier. En plein Débat public sur le nouveau programme nucléaire français, le gouvernement avait hâté l’organisation d’une consultation du public dans le souci de recueillir des avis en vue d’élaborer la fameuse Loi de programmation énergie climat promise par la « petite loi » climat de 2019. Un site internet a été mis en ligne et des réunions ont été organisées dans chaque région pour réunir les acteurs et accessoirement les écouter. Ici à Rouen, ce fut un beau moment. Personne ne parla de nucléaire si ce n’est EDF mais chacun fit valoir ses besoins pour bénéficier des approvisionnements au moindre coût, développer une offre locale d’énergie et diminuer des consommations aussi dispendieuses qu’inutiles.

Le Bilan établit par les garants de cette consultation est un document très honorable qui montre l’écart insondable entre les propositions du gouvernement et les attentes du terrain. Très concrètement la multitude est soucieuse de sobriété, d’efficacité et de planification sans jamais exprimer le moindre engouement en faveur de l’atome. Et pourtant, d’aucuns interprètent ce qui a été dit à leur manière :

« D’après le rapport, nos concitoyens estiment de plus en plus que le combat contre les énergies fossiles doit primer dans le débat sur l’énergie. Et non celui des énergies décarbonées entre elles (énergies renouvelables versus nucléaire). C’est particulièrement vrai chez les jeunes, qui insistent sur la nécessité d’avoir un mix équilibré pour atteindre la neutralité carbone. »

Comme quoi avec le nucléaire tout est possible. Quand on le sort par la porte, il ne peut s’empêcher de revenir par la fenêtre. Phénomène d’autant plus étonnant qu’à l’échelle de l’Union européenne, le plus grand nombre convient que les enjeux sont d’une toute autre échelle reléguant l’atome à une position au mieux marginale. Le problème majeur à résoudre est de sortir de la dépendance aux fossiles dans un contexte de changement climatique de plus en plus impérieux.

Mais que pèse la nécessité écologique et sociale au regard des intérêts particuliers d'un secteur industriel persuadé de son infaillibilité ?

La question se pose à Paris avec insistance où beaucoup ont déjà leur réponse dans leur sac. Et par un magnifique tour de passe-passe, la consultation est vite oubliée pour laisser la place à un tout autre débat, celui sur le juste prix du kWh. L’enjeu est simple : réformer le marché de l’électricité de manière à déconnecter le prix du kWh de celui du gaz. Ce n’est pas idiot si ce n’est que là-dessous se cache un petit détail. Il ne s’agit pas tant de proposer une énergie abordable que de garantir les revenus des producteurs. Ainsi se dessine l’opportunité de contrats à long terme qui protègeraient les industriels de la variabilité des prix de marché et accessoirement rassureraient les investisseurs. La belle affaire…

En effet le gouvernement français au grand désespoir de Berlin ne cache pas ses intentions. L’objectif visé en dernier recours n’est pas tant de garantir la sécurité des approvisionnements en électricité que de faciliter le financement des projets atomiques, le Programme nouveau nucléaire français et ces fameux SMR dont tout le monde parle. La filière nucléaire en a pleinement conscience et soutient de tout son poids une réforme qui répond à ses attentes.

Le défi français n’est donc pas tant de faire face au changement climatique de manière efficiente et immédiate mais de renforcer une filière stratégique alors que l’industrie des renouvelables montre déjà quelques signes de faiblesses. Fort du soutien d’une certaine gôche toujours prompte à soutenir le capitalisme monopoliste d’Etat, le gouvernement n’a plus qu’à enfoncer le clou en adaptant sa stratégie énergie climat à ses ambitions économiques et industrielles.

Ne restait plus qu’à jouer la montre et à tenir la société civile en marge de l’élaboration des documents programmatiques promis. Non seulement la loi énergie climat se trouve ajournée sine die, mais son contenu est renvoyé à des documents réglementaires dont l’élaboration est dans les mains du Ministère de la transition énergétique et des grandes directions qui le constituent. En lieu et place le gouvernement laisse au Parlement le soin de travailler sur des lois dites d’accélération qui ne disent rien des objectifs visés ni du chemin envisager pour les atteindre. L’énergie est un sujet trop sérieux pour être laissé entre toutes les mains…

Et c’est donc après un long temps d’élaboration sous les ors de la République, que le gouvernement a fini par livrer sa stratégie sans prêter beaucoup d’attention à la question climatique. Le problème est tel au vu de quelques indicateurs pour le moins préoccupant que d’aucuns parlent d’une « loi sans climat ». Et encore si c’était une loi ce serait presque bien. Mais ce n’est qu’une stratégie… une stratégie industrielle qui vise en dernier recours à sécuriser la place centrale du nucléaire dans le mixe énergétique français de manière à traduire en orientations concrètes les quelques acquis gagnés de haute lutte à Bruxelles et Strasbourg.

Nous avons donc aujourd’hui l’extrême plaisir de pouvoir consulter la fameuse SFEC, stratégie fantaisiste énergie climat, qui découle de ce long processus de renoncements et reports variés depuis un an au profit exclusif de la filière nucléaire. Le document n’est pas immense. Il fait à peine 100 pages. Quelques chiffres permettent de prendre la mesure de l’œuvre : le mot climat revient à 90 occasions alors que le mot industrie est cité 124 fois… deux de moins que le mot nucléaire. Le mot coût a 53 occurrences alors que le mot prix ne revient que 36 fois. Mais rassurez-vous, il est tout de même question d’énergies renouvelables, expression utilisée à 88 reprises. Le principe d’équivalence proclamé par le gouvernement entre le nucléaire et les énergies nouvelles n’existent donc pas ici. C’est deux tiers pour l’atome, un point c’est tout !

Tout semblerait donc plié d’avance de prime abord. Sauf que la communication pour le moins ostentatoire du gouvernement en faveur de l’énergie nucléaire ne se traduit guère en choix effectifs. On est là très loin du discours de Belfort où des innombrables prestations de Madame la Ministre qui ne tarit pas d’éloge pour la filière atomique. Point de triplement du nucléaire comme promis à Dubaï mais plutôt une orientation prudente pour atteindre 29% de fossiles dans le mixe à l’échelle de la prochaine PPE en 2035. La rupture promise ne figure même pas sur le papier. Tout au plus le gouvernement parie sur 360 TWh en 2035… alors qu’en 2011 la production du parc dépassait alégrement les 420 TWh. C’est certes mieux que les 280 TWh de 2021 mais ce n’est pas Byzance. Loin de là…

Il faut dire que quelques limites techniques s'opposent aux prétentions atomiques de Madame Pannier-Runacher. Les installations ne sont pas au mieux de leur forme comme le donne à voir le taux de disponibilité affligeant du parc nucléaire français. Elles ont vieilli et présentent une gamme très variée de fragilités divers et variées qui entrainent des arrêts d'urgence et des opérations de maintenance de plus en plus longue. On ne pourra donc guère espérer dépasser le seuil des 360 TWh même si EDF promet qu'il fera tout pour atteindre les 400 TWh persuadée que l'EPR de Flamanville fonctionnera à plein régime... ce qui reste à démontrer.

On se trouve donc avec un nucléaire en miette qu'il faudra bien compléter d'une manière ou d'une autre pour atteindre les 560 TWh d'électricité décarbonée. Fonction que le gouvernement attribue sans scrupules aux énergies naturelles et renouvelables alors que la France part de loin même de très loin à l'issue de deux décennies de sous-investissement dans la transition énergétique.

fig 9 SFEC 2023 p. 46
fig 9 SFEC 2023 p. 46

A en croire la Stratégie française énergie climat il convient de déployer quelques 100 TWh d'ici 2030 pour atteindre le chiffre faramineux de 177 TWh cinq ans plus tard. C'est ambitieux mais ça ne sera pas simple vu la propension de beaucoup à s'indigner face à la moindre éolienne et au plus modeste parc photovoltaïque. L'aversion pour les renouvelables déjà massives aujourd'hui risque de s'amplifier vu la propension de quelques politiciens et autres mouvements qui se présentent comme citoyens à entraver la transition énergétique.

Le gouvernement feint de l'ignorer. Fort de sa fameuse loi d'accélération des énergies renouvelables, il propose des objectifs qui étaient jusque-là considérer comme impossibles à atteindre : un doublement de l'éolien terrestre en particulier et une multiplication par 4 du photovoltaïque. C'est ambitieux. Nous l'attendions depuis longtemps

Sauf qu'un petit détail cloche. Le "en même temps" macronien ne s'applique guère à l'énergie. Un ensemble de contraintes techniques, financières, industrielles et humaines amènent à douter qu'un petit pays comme la France puisse courir deux lièvres à la fois. Les moyens engagés d'un côté manqueront immanquablement de l'autre côté alors que chacun reconnaît que le pays manque cruellement d'ingénieur(e)s et de technicien(ne)s. Le démantèlement de l'IRSN n'y changera rien. Le renforcement de l'appareil de formation non plus alors qu'on ne compte plus le nombre d'ingénieurs et de techniciens supérieurs qui délaissent les filières anciennes, fissiles et fossiles, pour se diriger vers les énergies renouvelables, l'autonomie énergétique et le développement de réseaux intelligents.

Et l'on peut légitimenent s'amuser de la volonté de prolonger la durée d'exploitation des réacteurs alors qu'EDF et ses sous-traitants éprouvent déjà des difficultés à recruter. Faudra-t-il donc reculer l'age du départ à la retraite des agents de la conduite et de l'exploitation pour que les objectifs soient atteints ? La question peut paraître triviale. Elle ne s'en pose pas moins au point qu'aujourd'hui l'exploitant nucléaire est contraint de faire appel à des retraités pour garantir l'exploitation et surtout former la prochaine génération.

Mais ce faisant le défi reste entier. Où l'exploitant nucléaire compte-t-il trouver les 10 000 à 15 000 salariés dont il a besoin d'ici la fin de la décennie ? Tout au plus des pistes sont envisagées. Mais aucune solution effective n'est disponible à ce jour. L'effort de formation nécessaire est tel qu'il risque de ne pas suffire comme on peut le constater à Chinon et ailleurs.

Au mieux on peut anticiper une guerre des filières pour séduire les jeunes diplomes voire proposer des formations en alternance si prisées par la nouvelle génération. Au pire on peut craindre qu'aucune ne trouve suffisamment de candidat(e)s et peine à mettre en oeuvre les objectifs qui lui sont attribués par la Stratégie énergie climat... Le problème est suffisamment sérieux pour qu'on s'y arrête et mériterait un traitement un peu plus approfondi que ce que nous propose aujourd'hui le document présenté au public.

Un gros problème de financement

Mais si le volet formation était la seule fragilité de la stratégie du gouvernement se serait presque bien. Un volet plus important encore amène à douter du caractère opérationnel et efficient de l'orientation proposée. C'est celui du financement à une époque où l'Etat n'a plus guère de grain à moudre alors que les Marchés financiers sont pour le moins regardant avant d'investir le moindre penny.

Ainsi donc on peut suspecter que s'il n'y aura assez de ressources humaines pour répondre aux besoins cumulés du nucléaire et des renouvelables, il n'y aura pas non plus suffisamment de ressources financières pour tout le monde. La réforme du marché de l'électricité annoncée à grand renfort de communication n'y change rien. La loi du Marché est implacable. Les capitaux privés nécessaires pour boucler les plans de financement iront forcément vers les technologies qui garantissent la rentabilité à court terme la plus importante. Et combien même ce principe ne s'imposerait pas à la faveur de soutiens publics opportuns, les sommes investies quelque part manqueront forcément ailleurs...

Et c'est très probablement ici que se situe la principale faiblesse de la proposition du gouvernement. Le recours massif à la production électronucléaire envisagée peut aussi s'expliquer par les difficultés rencontrées pour financer le programme nouveau nucléaire français. Pour le dire simplement, le financement des EPR2 au vu des différents travaux commandés par le Roquelaure implique que l'exploitant reconstitue ses fonds propres et que l'Etat dispose de réserves suffisantes pour accompagner son opérateur énergétique, chacun assumant environ la moitié de l'investissement comme le donne à voir ce document de Bercy publié par la Revue Contexte :

Ainsi peut-on interpréter d'une manière singulière la résolution de l'Etat à prolonger la durée d'exploitation des réacteurs en cherchant à accroître la disponibilité de ceux qui passeront la barre fatidique des 50 ans. Il ne s'agit pas tant d'apporter un service énergétique nécessaire pour satisfaire des niveaux de consommation très optimistes, mais de garantir le financement de la génération suivante de réacteurs indispensable à la survie d'un secteur industriel puissant.

L'objectif visé n'est donc pas énergétique mais industriel. Au prétexte de protéger ce que d'aucuns considèrent comme un avantage absolu de la France sur le Marché mondial de l'énergie, d'aucuns veulent faire tourner au plus qu'il peut un parc nucléaire... négligeant que chaque kWh atomique qui sera produit d'ici 2035 privera la transition énergétique de ressources nécessaires et exposera les usagers à une hausse continue des factures !

Le gouvernement sacrifie les intérêts immédiats des usagers aux besoins futurs d'un secteur industriel anachronique

Le climat a bon dos là-dedans. La nécessaire atténuation du changement climatique justifie en dernier recours de protéger envers et contre tout l'option nucléaire à court terme de manière à pouvoir y recourir de manière massive à long terme. Et pour ce faire, on utilise toujours les mêmes ficelles que dans les années 1970. Au prétexte d'échapper à la dépendance des fossiles, sont annoncés des objectifs pharaoniques de report des usages vers l'électricité pour justifier la nécessité de recourir à des moyens de productions centralisés de grande taille, c'est-à-dire à des réacteurs nucléaires. Et c'est ainsi que la réalisation de 6 à 14 EPR est présentée comme inéluctable pour compléter l'offre des énergies renouvelables qui ne pourra être développée plus qu'elle ne l'est à l'occasion de cette PPE.

Tous les éléments présentés par l'Etat et les acteurs publics de l'énergie sont donc surdéterminés par des besoins économiques et non par la nécessité environnementale et sociale. Peu importe si le prix du kWh va monter en flèche. Peu importe si l'acharnement dans le nucléaire permet de justifier des niveaux de consommations qui ne sont ni soutenables ni responsables. L'important est de ne pas désepérer Le Creusot et d'être en capacité de répondre à une demande internationale de nucléaire nécessaire pour sortir des fossiles.

Pour cela tout est bon quitte à priver les renouvelables, ramenées au simple statut d'énergie d'appoint, de ressources indispensables. L'objectif en dernier recours est de maintenir ouverte coute que coute l'option nucléaire quitte à jouer avec le feu comme le montre ce graphique de RTE :

En effet, le problème majeur auquel nous confronte la stratégie du gouvernement n'est pas tant la construction de nouveaux réacteurs, quelle que soit leur taille, que la prolongation des vieux réacteurs qui sont déjà exploités pour certains au-delà de qui a été envisagé par leurs concepteurs. Pour le dire autrement on peut craindre que le gouvernement joue à la roulette russe laissant le soin à ceux qui le succéderont d'appuyer sur la gachette. Tel est bien là le souci. A mesure que les années passent et que les difficultés techniques s'accumulent, le risque de défaillance voire d'accident augmente de manière exponentielle... sans que rien de très conséquent soit prévu pour faire face à de tels événements.

C'est bien pour cela que la SFEC nous apparaît comme fanatisiste. En tout cas elle n'est ni réaliste ni proportionné aux défis auxquels nous faisons face. Le pire est que tout cela risque de nous coûter fort cher alors qu'une autre politique énergétique est possible priorisant la sobriété et la baisse de l'intensité énergétique.

Nous n'avons point d'autre issue aprce qu'il est illusoire de consisérer qu'une technologie nous permettra de continuer de vivre comme aujourd'hui sur une planète qui porte les stigmates de la folie de l'humanité...