Le parti socialiste, allié objectif du gouvernement pour la perpétuation de l'option atomique

La proposition de (re)nationalisation d'EDF est une idée pour le moins farfelue qui sanctuarise l'option nucléaire

Guillaume Blavette

2/6/202312 min read

Une vidéo récente de Pure Politique met en évidence le combat de quelques courageux parlementaires pour une nationalisation d’EDF dans le but de protéger la multitude du marché de l’énergie qui accule chacun à la précarité énergétique. La posture est généreuse mais totalement absurde. Preuve s’il en est que l’idéologie trouble le regard d’une gauche qui décidément à du mal à faire son deuil du XXe siècle et ne comprend pas grand-chose aux enjeux énergétiques.

Si avec de bons sentiments on ne fait pas de bonne littérature, on ne définit pas non plus une politique énergétique efficiente et soutenable tant d’un point de vue de social qu’environnemental. C’est en tout cas ce que donne à voir la croisade du socialiste Philippe Brun et de son parti. Nos deux compères sortis de nulle part se portent aujourd’hui à la tête du combat pour la renationalisation d’EDF développant un réquisitoire à charge contre Bercy, le Marché et l’abandon d’EDF.

La thèse a le mérite de faire sourire. Elle est surtout très opportune pour le gouvernement et la présidence de la République qui bagarrent avec Bruxelles dans l’espoir de recapitaliser EDF et de tenir à bout de bras une filière énergétique épuisée par cinquante années de nucléaire. C’est tout le modèle énergétique français qui risque de s’effondrer alors que partout en Europe la transition énergétique avance à grand pas et que le tarif réglementé prend fin en juin prochain.

Le défi est donc de taille à l’heure où les factures d’électricité explose déjà et que d’aucuns se demandent comment dans dix on pourra injecter des électrons made in France sur le Réseau. Un défi tel qu’il traumatise une classe politique qui ne s’est jamais vraiment intéressée aux questions énergétiques, son imaginaire restant rivé sur le temps béni des Trente Glorieuses, quand on pouvait niquer la planète avec bonne conscience.

Ainsi une sorte d’Union sacrée autour d’EDF s’est elle constituée depuis une bonne décennie, voire une quinzaine d’années, au mépris de la réalité. Alors que les écolos ont tout fait pour inviter l’Etat et son opérateur énergétique à changer de cap et s’engager dans une transition énergétique à la mesure des enjeux climatiques, sociaux et technologiques, le conservatisme le plus consternant s’est imposé dès le Grenelle de l’Environnement.

Il fallait en dernier recours sauver le soldat EDF quoi que ça puisse couter et surtout protéger ce qui est encore perçu comme la rente de situation nucléaire. C’est ainsi que d’aucuns ont rêvé de l’EPR, machine providentielle qui allait livrer le monde à l’excellence atomique française ; que Sarkozy eut l’idée lumineuse de proposer un second EPR qui n’a jamais vu le jour ; que Hollande a construit un savant compromis nommé Loi de transition énergétique qui pérennise l’option nucléaire au prix de quelques compromis sans permettre le moins du monde l’accélération de la transition qui s’imposait déjà depuis quelques années ; que Macron, l’homme sans projet héritant d’une situation pourrie, décide non seulement de fragiliser la baisse de la part du nucléaire mais surtout de voler au secours de l’énergéticien aux abois… fut-ce au prix d’une relance anachronique du nucléaire.

Comme souvent en France c’est la pire des solutions au pire des moments qui est choisie, à savoir sauver le nucléaire pour sauver EDF et l’ensemble de la filière électrique française. Orientation pour le moins consternante a le mérite de dépasser les clivages politiques pour dégager un puissant consensus tel celui dont bénéficia Pétain le 10 juillet 1940. Consensus qui prend acte de la défaite mais qui n’en déduit aucun changement de cap et bien au contraire grave dans le marbre les conditions de cette défaite.

Ainsi donc nos deux députés préconisent-ils rien de moins que de (re)nationaliser EDF et de sortir la France du marché de l’électricité européen. Si la proposition a le mérite de l’audace, force est de reconnaître qu’elle est totalement absurde faute d’un réflexion de fond sur l’énergie, sa production et sa distribution. Au prétexte de renouveler le miracle de la Libération pour protéger un « fleuron industriel » et défendre les droits des usagers, les deux serviteurs zélés de l’atome ne proposent rien de moins que de persévérer dans une impasse qui ne garantit plus la sûreté nucléaire sans permettre une transition qui se fait attendre.

En effet l’objectif assumé d’empêcher le découpage par lots de l’énergéticien national proposé par le projet Hercule ne peut être considéré objectivement comme un objectif en soi ni même concourir aux ambitions de justice sociale affichée haut et fort.

EDF, le boulet de l’économie française

Si le déploiement d’une production centralisée d’électricité grâce à un réseau lourd et complexe de distribution a pu correspondre aux besoins de l’industrie et de la société de consommation au XXe siècle, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le monde et surtout l’économie ont changé. Non seulement l’accès aux financements est plus difficile mais surtout il est absurde d’envisager une quelconque production à l’échelle d’un seul Etat.

La France est totalement passée à côté de cette nouvelle donne. Alors que ses voisins ont fait le choix dès la fin du siècle dernier de diversifier et de déconcentrer leur outil de production, EDF a entrainé le pays dans une impasse. Parce que tel est bien là le nœud du problème auquel nous faisons face aujourd’hui.

En vingt ans, EDF a totalement dilapidé la rente de situation héritée de l’Après-Guerre. A la faveur d’un désengagement des politiques au profit de la technostructure de l’avenue de Wagram et de quelques réseaux d’ingénieurs, fautes et erreurs tant technologiques qu’économiques se sont accumulées. EDF forte d’une autonomie nouvelle a agi telle une multinationale s’aventurant dans des projets plus ou moins fantaisistes à l’étranger pour un coup final prohibitif. Ce faisant d’aucuns ont oublié leur mission première à savoir entretenir l’outil de production et préparer l’avenir. Le parc nucléaire a vieilli, son entretien pourtant fondamental s’est dégradé et surtout la diversification technologique n’a pas eu lieu.

On peut parler d’une sorte de descente aux enfers ponctués par une suite ininterrompue de mauvaises décisions. Au début des années 2010, il n’est plus possible de cacher la réalité. Cela fait déjà quelques années que les choses se dégradent sans jamais que le politique n’ait réussi à remettre de l’ordre dans tout ça se contentant de ramasser les revenus sans le moindre scrupule.

Il fallait bien que cela s’arrête. C’est ce qui a été tenté à l’occasion du débat national sur la transition avec le succès que l’on connait. La transition énergétique n’a pu être financé à la mesure des enjeux notamment parce qu’Areva a sombré et que l’Etat a du se résoudre à un premier plan de sauvetage massif. Très concrètement passif d’EDF a impacté le budget de l’Etat alors que l’avenue de Wagram se permettait de revendiquer des compensations pour le moins fantaisistes à la mise à l’arrêt définitif de Fessenheim.

Toujours est-il que dès la fin du quinquennat Hollande, l’urgence d’un aggiornamento énergétique s’impose alors que la hausse tendancielle des coûts commence à se faire sentir et qu’il est de plus en plus difficile de protéger une exception française qui suscite de vives critiques partout en Europe.

Le Macronisme énergétique ou le refus de l’audace

Apparaît alors au grand jour la contradiction flagrante entre politique énergétique et gestion des finances publiques. Si la première impose de l’audace la seconde pousse au conservatisme le plus crasse et à un court-termisme désolant. Et c’est bien l’Agence des participations de l’Etat et plus globalement Bercy qui imposent leur loi d’airain à une nécessité tout autant soiciale qu’environnementale. Pour ces gens là le souci du moindre coût et des revenus garantis l’emporte sur toute autre considération.

C’est dans ce cadre qu’Hercule est conçu. L’objectif est clair, à savoir garantir le financement de la transition énergétique sans obérer les finances publiques tout entière dévolue à protéger des intérêts en place. Le choix politique est clair. Les énergies nouvelles et la modernisation du réseau doivent se financer par eux-mêmes conformément au cadre européen. Seul le nucléaire reste dans le domaine réservé de l’Etat pour des raisons industrielles et politiques. Nous sommes bien en présence d’une tentative de rationalisation de ma politique énergétique dans la stricte continuité des décisions présidentielles depuis un demi-siècle.

Petit problème, Bruxelles qui avait accepté du bout des doigts le dispositif d’Arenh au début de la décennie ne considère pas cette proposition comme juste et équitable. Cela reviendrait à pérenniser une situation dominante sur un marché désormais ouvert où prévaut le principe de concurrence libre et non faussée. La sanctuarisation du nucléaire français sous le giron de l’Etat serait en effet une extraordinaire distorsion de concurrence aux dépends des objectifs de la politique climatique que l’Europe veut déployer... et accessoirement des autres acteurs du marché de l'énergie.

Ainsi la bataille a-t-elle changé de terrain pour se porter sur la fameuse taxonomie c’est-à-dire la caractérisation du nucléaire comme une énergie verte. Il fallait l’oser, Macron l’a fait.

Paris a porté une offensive tout azimut auprès de Bruxelles, du Parlement européen et des Etats membres dans le seul but de sauver cette si chère filière nucléaire. Il s’agissait rien de moins que de faire valider Hercule et le plan de refinancement qui y est attache et de changer le statut de l’énergie nucléaire au prix de quelques compromis sur ce qui est perçu à Paris comme une charge plus que comme un revenu, c’est-à-dire la transition.

La bataille est encore en cours, une majorité au sein de l’Union n’acceptant pas le coup d’éclat atomique de la France. Surtout cette bataille prend un tour délirant tant politique que technique. Pour conforter ses revendications, Paris, persuadé de son infaillibilité atomique, sort de sa manche le fameux Programme nouveau nucléaire français dans le but de faire sauter le verrou de la taxonomie et d’obtenir un blanc-seing pour le financement public de la filière nucléaire.

Non seulement ces gesticulations n’amènent à rien mais l’énergie déployée pour sauver le nucléaire fait défaut à la transition énergétique. Chaque jour un peu plus la France est distancée par ses voisins qui bénéficient pleinement du sursaut apporté par le déploiement massif des énergies renouvelables au point que désormais les projets offshore en Mer du Nord se font sans le moindre soutien public ou que le dynamisme d’entreprises comme Siemens ou WPD n’a rien à voir avec ka fragilité d’EDF exposé à mille tourments.

Le drame est que la gôche vient en appuis à la nucléophilie macronienne

Et pendant ce temps-là, la précarité n’a cessé de se développer dans les CNPE, les factures d’électricité s’élèvent inexorablement et la précarité énergétique s’envole. Tout autant de sujets qui auraient pu entrainer une réponse en acte de la gauche.

Mais il ne faut pas trop en demander à ces gens-là. Sous le joug culturel de la Sainte Eglise atomique, les yeux rivés sur 1945, une grande partie de la gauche perçoit mal les défis énergétiques et les solutions qui se présentent. Elle s’est donc enfoncé dans un conservatisme consternant que la victoire de François Hollande sur Martine Aubry en 2011 illustre parfaitement. Au mieux sceptique face à l’écologie politique, la gauche s’est enfermé dans une lecture conservatrice de la situation du système énergétique ou plutôt dans une aperception crasse de ce qui était en cours de se passer.

Ainsi le bilan du quinquennat Hollande est-il pour le moins modeste au regard des espérances soulevées. La tarification progressive de l’électricité a été sabordée par le jeu commun de la droite et des staliniens. La loi de transition proposée à l’issue du DNTE n’a pas entrainé les réformes structurelles qui s’imposait initiant un « en même temps » très macronien. Ainsi la transition énergétique n’a-t-elle connue aucun sursaut bien au contraire en raison notamment du refus des collectivités locales d’assumer de nouvelles missions. En dernier recours il s’agissait de protéger EDF, fleuron national et bastion syndicale.

Et c’est donc sans opposition réelle que Macron a pu opérer un changement de cap notoire à mille lieues des engagements de la COP21. Les gilets jaunes, cette horde de crétins soucieux en dernier recours de leur droit à polluer, n’ont fait qu’accentuer que le statu quo. S’il ne fallait recourir à une taxe carbone, il convenait surtout de protéger une filière nucléaire en pleine déshérence parce que d’aucuns estiment comme trop cher de changer de modèle. Arrive alors la petite loi énergie, la démission de Nicolas Hulot et le début des gesticulations françaises à Bruxelles dont nous avons déjà largement parlé.

Les élections de 2022 ont donc largement ignoré la question énergétique. Au mieux on a parlé de climat sans jamais aborder l’ampleur des adaptations à consentir. Au pire parce que le pire est toujours probable en France un consensus de fait s’est dessiné pour sauver EDF… beaucoup croyant que le sauvetage de l’opérateur énergétique de l’Etat serait la panacée ou plutôt le totem qui pouvait protéger usagers et salariés de tous les maux de l’époque.

Un curieux jeu s’est développé entre une présidence de la République soucieuse de défendre l’exception française à Bruxelles et une opposition de gôche tant syndicale que politique partageant cette préoccupation en feignant de s’y opposer. Il fallait condamner l’Hercule élyséen pour revendiquer un super Hercule visant à garantir l’intégrité de l’ancienne régie publique.

Entravant toute réforme structurelle

Le jeu des crypto-atomistes de gôche est un magnifique exemple de combat d’arrière garde apportant la plus mauvaise réponse aux défis qui se présentent à tou(te)s.

Préserver l’intégrité d’EDF non seulement est une proposition hors de prix pour les finances publiques au vu de l’ampleur des investissements à réaliser mais surtout la perpétuation d’un modèle dont la dynamique est contraire à l’objectif visé. En effet le modèle d’EDF depuis que Nicole Fontaine a ouvert la voie de la transition est clairement de refinancer le nucléaire avec les revenus tirés des énergies renouvelables dont le financement est garanti par le contribuable et l’usager (turpe, cspe) de manière à épargner la trésorerie déjà abyssale de l’avenue de Wagram. Modèle absurde s’il en est puisqu’un développement trop massif des renouvelables fragiliserait un peu plus encore la situation d’un parc nucléaire à la peine au regard du merit order européen.

Or c’est bien ce modèle claqué au sol que M Brun protège aujourd’hui au prétexte de la protection des consommateurs. Extraordinaire pirouette parce que chacun reconnaît que les couts d’exploitation du nucléaire n’ont cessé de grimper non sans impact sur les factures. Extraordinaire pirouette parce que ce monsieur oublie un petit détail : au mieux c’est un quart des réacteurs qui devraient mettre la clef sous la porte d’ici 2035 ne serait-ce que pour des raisons de sûreté ou comme à Fessenheim au regard de la masse d’investissements à consentir pour maintenir en exploitation les dites installations. Extraordinaire pirouette parce que la proposition ne dit rien sur les modalités et le phasage de la transition énergétique…

On a rarement vu un tel écart entre une revendication et son objet. Elle n’apporte aucune réponse aux questions qui se posent à nous tou(te)s si ce n’est de laisser aux mains d’une technostructure qui nous a entrainé dans la crise le soin de préparer l’avenir. Revendication consternante s’il en est. Revendication qui ne permet aucunement de trouver des solutions inédites pour réaliser le déploiement de la transition qui n’a pas eu lieu depuis le début du siècle. Revendication qui au final sanctuarise le recours à l’énergie atomique sans percevoir qu’elle est risqué, infinançable et trop lente pour faire face au changement climatique.

Somme toute cette gôche se trompe de combat. Plutôt que de défendre un fétiche d’un autre temps, elle devrait se concentrer sur le déploiement de la transition dans les territoires par la recherche de l’autonomie énergétique et une baisse des consommations drastiques. Les solutions au désordre global que nous connaissons ne viendront pas de cathédrales massives et centralisées mais d’une infinité de solutions locales qui nécessitent un accès facilité à des financements privés à l’heure où les finances publiques sont exsangues. L’enjeu est économique, il est aussi social, environnemental et surtout démocratique.

Parce que la leçon d’EDF est bien celle d’un modèle qui a amené une caste et ses vassaux à s’emparer du pouvoir énergétique aux dépends des choix et des besoins de la multitude….