Le nucléaire, répétition immuable des mêmes pratiques pour un résultat consternant

Le nucléaire est à l’ordre du jour. Le gouvernement a placé en tête de l’agenda sa relance à grands coups de communication mais surtout de décisions politiques qui s’accumulent depuis le début de l’année 2023. Le climat a bon dos là-dedans. Il s’agit surtout de mener une politique industrielle dans le cadre d’une stratégie toute aussi vaine qu’anachronique. L’important est d’accélérer quitte à saboter un débat public, à passer une loi d’exception et à présent de casser le thermomètre de crainte que le plus grand nombre se rende compte que le patient à la fièvre. Tout est allé très vite. En juin 2023 la demande d’autorisation de création a été déposée. En décembre les demandes environnementales réalisées et depuis le début du mois de février une enquête publique a commencé en Seine-Maritime sans grande communication. C’est de cela dont il est question dans l’article qui suit :

SÛRETÉ NUCLÉAIRE

Guillaume Blavette

2/19/202421 min read

Depuis le 1er février 2024, un registre numérique a été ouvert dans le cadre d’une enquête publique relative à l’implantation de deux unités de production EPR2 et leur raccordement au réseau sur le site de Penly. Chacun dispose d’un mois pour s’approprier la documentation proposée par le pétitionnaire et exprimer une contribution.

Chaque mot compte ici. Vous l’aurez compris, pas question de parler de nucléaire et encore moins d’énergie atomique. Pas question non plus de demander des avis. Tout au plus le commun des mortels peut contribuer, modalité pour le moins réductrice qui interroge sur la possibilité de critiques, de contester voire de s’opposer. Les choses vont ainsi en cette ère de relance de la filière nucléaire. L’ambition de l’Etat est tout au plus d’informer sans que les procédures mises en œuvre puissent le moins du monde gêner le maitre d’ouvrage.

Mais bon ce n’est plus ce qu’elles étaient. Le dossier communiqué par EDF compte, tout au plus, cinq milliers de pages. Celui de RTE est encore plus léger, cette entreprise proposant de faire passer quelques câbles sur des mesures compensatoires proposées par EDF.

C’est le grand n’importe quoi. Jamais on n’a vu un dossier aussi faible et maladroit. La note de présentation non technique du Dossier de demande d'autorisation environnementale (DDAE) se résume à 13 maigres pages qui bien évidemment aboutissent à un formidable :

« L’analyse des incidences des travaux objet du DDAE ne met pas en évidence d’incidences négatives notables sur la qualité de l’air, l’environnement aquatique, les espaces naturels remarquables et les fonctionnalités écologiques. Elle ne met pas non plus en évidence de risque sanitaire sur les populations avoisinantes potentiellement exposées aux substances émises, que ce soit par ingestion ou par inhalation. S’agissant des déchets, du volet acoustique et des activités humaines, des mesures sont prises pour éviter, réduire et compenser, afin d’aboutir à une absence d’impact résiduel notable. Les travaux objet du DDAE ne remettent pas en cause de manière significative l’état de conservation des habitats et espèces prioritaires ou d’intérêt communautaire ayant prévalu à la désignation des sites Natura 2000 de l’aire d’étude. Il ne remet pas non plus en cause les objectifs de gestion définis dans les documents d’objectifs de ces sites Natura 2000. » Pièce 1, p. 13

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le déroctage de la falaise (5 millions de m3) comme l’artificialisation de 20 ha supplémentaires sur les fonds marins ne seraient que de modestes détails devant lesquels il est bien futile de s’attarder. Des habitats d’intérêt communautaire comme les plaquages d’Hermelles dans la partie marine de l’aire d’étude ne mériteraient pas qu’on s’en préoccupe alors que selon l’Autorité environnementale :

« Cependant, le projet va artificialiser 84ha, dont 24 ha sur les fonds marins (Figure 10). La compatibilité du projet avec les objectifs D06-OE01 et D06-OE0226 du DSF, visant l’absence de perte nette d’habitats est insuffisamment détaillée, d’autant que le distinguo entre l’estran et les petits fonds côtiers n’est pas fait. À ce titre, EDF a réalisé des investigations complémentaires en septembre 2023, concluant finalement à la présence de plaquages d’Hermelles sous la future extension de la plateforme27. Des bioconstructions à sabellidés en mosaïque avec des banquettes à Lanice et des bancs de moulières, constituant des habitats particuliers, ont été aussi confirmés sous la future conduite de rejet de fond de mer et nécessitent la mise en œuvre de la séquence ERC. » p. 21/43

Fait d’autant plus préoccupant que le document cité se poursuit ainsi :

« Par ailleurs, le dossier ne présente aucune mesure compensatoire en réponse à l’artificialisation et la perte physique d’habitats naturels pour certains référencés Ospar, bien qu’EDF annonce une mesure d’accompagnement dénommée « programme scientifique d’acquisition de connaissances sur les habitats particuliers que sont les placages d’Hermelles et les moulières ». p. 22/43

Et combien même ces habitats feraient l’objet d’une action spécifique, la dynamique même du chantier puis de l’exploitation des EPR2 pourraient porter irrémédiablement atteinte aux espèces qu’ils accueillent :

« En plus de l’accumulation des sédiments pouvant affecter le site Natura 2000 Littoral Cauchois, les communautés du platier rocheux peuvent être affectées par la dispersion de matières en suspension générées par les travaux de creusement des puits de rejets d’eau de mer et de la construction de la plateforme en mer. Les fucales qui s’y développent sont sensibles à cette hausse de turbidité alors qu’elle est considérée comme sans impact dans l’étude. Par ailleurs, le développement de placages d’Hermelles est très dépendant de l’environnement hydrosédimentaire du milieu. Une modification locale de la courantologie, du transit sédimentaire et de la turbidité du milieu pourrait avoir des conséquences en matière de distribution de cet habitat sur l’aire d’étude. Ainsi, le dossier n’évalue pas correctement l’incidence des MES sur les habitats rocheux du site Natura 2000. Des données supplémentaires sur la superficie des habitats affectés directement (par la présence des puits et la canalisation des rejets d’espèces marines et ceux de la plateforme) et indirectement (du fait de l’accumulation de sédiments et de l’apport de MES) par type d’habitat ont été en partie fournies aux rapporteurs et devraient être ajoutées au dossier. La qualification des incidences résiduelles» p. 41/43

Là on sort du détail. On n’est bien en présence d’une destruction d’espèces et d’habitats interdites à en croire l’article L. 411-1 du Code de l’environnement… à moins bien évidemment qu’une démarche E.R.C. soit mise en œuvre (article L. 411-2). Ce qui n’était pas le cas à en croire l’Autorité environnementale lorsqu’elle a publié son avis le 9 novembre 2023… Et c’est la totalité d’un espace protégé qui se trouve de fait menacée, le site  Natura 2000, ZSC FR2300139 « Littoral Cauchois », voire à plus large échelle le parc naturel marin des estuaires picards.

Mais si ce n’était que ça. L’avis de l’Autorité environnementale (AE) est accablant dès les premières lignes. Au-delà de ce saccage de qq 20 ha marins, rien ne va dans le projet proposé à la va-vite par EDF. Regardons les griefs qui lui sont opposés :

L’AE est pour le moins surprise par la proposition technique du maitre d’ouvrage qui se distingue par sa banalité. A croire qu’EDF a vidé ses fonds de tiroir pour satisfaire à quelques exigences réglementaires sans en dire beaucoup sur le projet poursuivi et encore moins sur les objectifs visés :

« Les incidences en fonctionnement sont évaluées sur la base des normes de rejets applicables à l’industrie nucléaire, parfois anciennes. Si cette démarche est justifiée pour démontrer que le projet n’a pas d’impact notable et sous réserve que cette démonstration soit conclusive, elle n’exonère pas le maître d’ouvrage d’appliquer aux rejets la démarche ERC (Éviter, Réduire, Compenser), de mettre en œuvre les principes de réduction à la source des émissions de radionucléides et de radiations (Principe Alara) ou de démontrer que les performances en matière d’émissions de polluants conventionnels sont conformes aux meilleures techniques disponibles» p. 3/43

La suite est plus croustillante encore, l’AE se plaisant à faire remarquer que l’EPR2 n’est jamais qu’un vulgaire PWR, héritier du vieux plan Westinghouse à peine francisé. Le saut technologique vanté par l’opérateur énergétique de l’Etat est donc bien modeste en particulier en termes d’impacts. Fait pour le moins préoccupant alors que des recommandations datant du projet Flamanville n’ont toujours pas de réponses… au point que l’on puisse légitimement s’interroger sur la résolution d’EDF à mettre en œuvre les meilleures techniques disponibles…

L’emprise du projet est le second point que relève l’AE. En effet, dès la construction des deux P’4, au tournant des années 1980 et des années 1990, il était prévu d’installer ici quatre réacteurs, d’où l’étendue du périmètre de la centrale et en particulier du polder. D’aucuns auraient pu croire que cet espace était largement suffisant pour construire deux nouvelles tranches et les exploiter sereinement. Or ce n’est pas le cas. EDF se montre pour le moins gourmant alors que le raccordement au réseau nécessite un bon coup de neuf :

« Le projet nécessite néanmoins l’utilisation de terrains complémentaires dont des terrains agricoles en haut de falaise : 41 ha seront achetés, dont 10,5ha seront achetés, dont 10,5 ha retrouveront un usage agricole à l’issue du chantier. Les deux nouvelles unités occuperont 25 ha qui s’ajouteront aux 15,5 ha occupés par les unités existantes. Les déblais du déroctage de la falaise serviront à l’extension de la plateforme en front forme en front de mer. 19 ha seront ainsi conquis sur la mer ce qui représente une emprise de 20ha sur les fonds marins. »

Rien de très économe dans tout ça et un souci au mieux modeste d’éviter et de réduire. Ce n’est pas au projet de s’adapter au site, mais au site de se plier aux besoins d’EDF…

Voilà une bien curieuse inversion des priorités. Mais bon, avec EDF on n’est jamais au bout de nos surprises. Très concrètement ils n’ont la place pour mettre deux EPR2 et défoncent tout autour pour caser leurs bouilloires. Ils s‘étendent sur la mer d’un côté, défoncent la falaise de l’autre et grignotent, un peu plus loin, des terres agricoles pour le nouveau poste électrique.

Les espaces non artificialisés qui demeuraient sur le site sont, au passage, réduits à peau de chagrin, en particulier parce que RTE vient bouffer des mesures compensatoires d’EDF pour passer ses câbles. C’est du grand n’importe quoi !

Le troisième point mis en évidence porte sur l’opportunité des nouvelles règles définies par la fameuse loi n° 2023 491 du 22 juin 2023 dite « d’accélération du nucléaire ». Le parlement a en effet clairement facilité la tâche du maitre d’ouvrage en l’exonérant de quelques procédures qui, comme chacun le sait, ralentissent la mise en œuvre des projets atomiques. Sauf que tout ce ceci est bien gentil, mais ne change pas fondamentalement le processus d’autorisation qui reste soumis à une décision de l’Autorité de contrôle (p. 12/13). Et c’est-là que le drame se glisse. Non seulement les travaux qu’EDF veut entamer dans les plus brefs délais peuvent s’avérer inutiles, mais les destructions qu’ils vont entrainer à la faveur d’une déréglementation injustifiées seront irréversibles. Une fois encore la nature se trouve méprisée, simple externalité d’une nécessité énergétique qui reste à démontrer…

Et on en arrive au quatrième argument de l’AE : « Le dossier n’envisage pas de solutions techniques alternatives aux réacteurs EPR, ni de sites alternatifs » (p. 14/43). Ce qui relève au mieux d’une lecture incomplète de la législation applicable, en particulier de la Charte constitutionnelle de l’environnement voire de quelques textes internationaux sur la participation du public.

Voilà une bien curieuse conduite de projet qui amène à considérer que nucléaire et démocratie ne font pas bon ménage. On est en face d’un projet top down qui ne peut exister sans plier à ses besoins lois, règlements et surtout l’environnement. Un environnement qu’il ne saurait être question de caractériser précisément… de crainte que quelques éléments viennent contrarier les plans d’EDF et surtout la résolution de l’Etat à faire face coute que coute à une crise énergétique mondiale en mettant en œuvre de nouveaux moyens de production massifs et centralisés (ce qui relève au mieux de l’anachronisme).

On touche ainsi à un autre point mis en évidence par l’AE, à savoir l’absence d’une évaluation environnementale digne de ce nom :

« Le dossier ne présente pas l’évaluation environnementale du projet de deux unités EPR2, mais l’évaluation environnementale du CNPE à terme, comprenant les quatre réacteurs. Cette approche permet d’apprécier les impacts des équipements mutualisés, comme la production d’eau déminéralisée. Pour autant, elle ne permet pas d’analyser à elle seule les effets spécifiques aux deux nouveaux réacteurs, ni les moyens mis en œuvre pour leur prévention et les progrès accomplis au regard des précédentes générations de réacteurs. Il n’est pas prévu dans ce dossier d’amélioration sur les deux anciennes unités de production, même lorsque des solutions adoptées sur les unités EPR2 pourraient être étendues aux deux unités REP, comme le traitement des eaux huileuses. » p. 13/43

Point besoin d’en rajouter, les mots parlent d’eux-mêmes. EDF nous sert une soupe qui lui permet de ne pas déclarer les conséquences sur les milieux et l’environnement en général de la construction puis de l’exploitation de deux tranches supplémentaires. Le « c’est bon pour le climat » sert de pétition de principe qui justifie tout et surtout n’importe quoi.

Or la question écologique est loin de se limiter à la seule crise du climat. La biodiversité, en particulier en mer, ou l’érosion du littoral, l’artificialisation des terres agricoles sur le Petit-Caux, sont autant de sujets qui appellent d’autres propositions que celles d’EDF. L’exploitation du CNPE de Penly a déjà causé suffisamment de dégâts sur le trait de côte pour envisager des solutions plus robustes. C’est ce qu’on appelle la responsabilité sociétale de l’entreprise. Enjeu qui n’est pas mince ici au vu du recul toujours plus rapide de la falaise et de la gestion pour le moins problématique des sédiments marins dont le flux est brisé par la centrale. Sans parler du problème épineux des rejets et prélèvements d’eau.

Une autre stratégie respectueuse du territoire et des milieux n’était-elle pas envisageable ? La construction d’une paire de réacteurs n’est-elle pas trop lourde pour ce site ? Ne convenait-il pas d’en rester à la construction d’une seule tranche qui évite les destructions massives envisagées aujourd’hui ?

Beaucoup de questions se posent sans qu’on dispose des éléments pour y répondre faute d’une évaluation environnementale digne de ce nom, faute d’un discours de vérité d’EDF qui envisage les impacts de son projet au regard de l’état initial de l’environnement établi lors de la création du CNPE, faute d’un réel souci pour le territoire pour une production qui ne lui sert guère.

Parce qu’il est bien là le problème en dernière instance. D’un strict point de vue environnemental, le projet d’EDF expose le territoire à un bilan au mieux négatif. Ici les rejets, les effluents, les impacts et les risques… là-bas les kWh et des €. Triste bilan que les emplois du nucléaire ne compensent que bien modestement au vu des perspectives qu’offre une authentique transition énergétique sans carbone ni uranium. Bilan d’autant plus calamiteux au vu des incertitudes qui pèsent sur le nouveau programme nucléaire… qui au mieux ne fera que des déçus !

Nous sommes bien en présence d’un projet dont on peine à trouver les aspects positifs :

« Au-delà de la delà de la sûreté nucléaire sur laquelle l’Ae ne peut se prononcer en l’absence de rapport de sûreté, le dossier de sûreté, le dossier ne fait apparaître que peu d’améliorations des performances environnementales des unités EPR2 par rapport aux unités REP existantes, alors que plus de 40 ans sépareront leurs dates respectives de mise en service. Les recommandations présentées dans les précédents avis sur des sites nucléaires s présentées dans les précédents avis sur des sites nucléaires de la Manche n’obtiennent pas de réponse dans ce dossier, en particulier en termes de rejets d’organochlorés» p. 3/43

« Il n’est pas prévu dans ce dossier d’amélioration sur les deux anciennes unités de production, même lorsque des solutions adoptées sur les unités EPR2 pourraient être étendues aux deux unités REP, comme le traitement des eaux huileuses» p. 13/43

« L’étude d’impact couvre les travaux préparatoires à l’exploitation, les épreuves hydrauliques, les essais avant exploitation et la phase d’exploitation. Elle ne prend pas en compte la remise en état du site, considérée après la fin d’exploitation, voire après l’achèvement des travaux rendus possibles par l’autorisation environnementale. Les essais ne générant pas d’impacts différents de la phase d’exploitation, la partie de l’étude d’impact correspondante n’est pas commentée dans cet avis» ibidem

« Enfin, le dossier ne comprend pas l’ensemble des éléments en particulier sur les risques naturels et technologiques, qui seront nécessaires à l’autorisation de création et qui pourront avoir modifié considérablement la connaissance des impacts du projet sur l’environnement et la santé des populations»

« L’Ae rappelle que l’étude d’impact devra être complétée et actualisée pour le dossier de demande d’autorisation de création des deux nouvelles unités de production. L’étude d’impact prend en compte le fonctionnement « normal » des installations, en cas d’incident (pannes…) et en période de transition (mise à l’arrêt ou redémarrage). La présentation faite des situations de fonctionnement non « normal » ne permet pas de savoir si l’ensemble de ces situations est bien couvert. Les effets de ces situations ne sont souvent pas quantifiés. » p. 14/43

N’en jetez plus la cour est pleine. On est bien en présence d’un projet fragile qui peine à justifier une quelconque raison d’impératif majeur :

« L’Ae s’est interrogée sur la pertinence de l’évocation d’une raison impérative d’intérêt public majeur pour un projet dont l’essentiel des impacts sur la biodiversité ainsi que sur les sites Natura 2000 pourraient être effectifs alors même que les décisions quant à son achèvement ne sont pas encore prises en l’absence de mise à jour de la programmation pluriannuelle de l’énergie et d’autorisation de création. » p. 13/43

Un projet proposé sans le moindre souci de l’environnement, puisque :

« De fait, aucune analyse environnementale n’a présidé au choix du site de Penly et des sites retenus a priori pour les éventuelles futures constructions d’EPR2. L’Ae considère que l’analyse à la fois technique et environnementale du choix du réacteur nucléaire et des sites possibles d’implantation des six premiers réacteurs EPR2, voire des suivants, devrait s’inscrire dans un plan soumis à évaluation environnementale. Ce plan est la programmation pluriannuelle de l’énergie qui avait vocation à être adoptée après proclamation de la loi de programmation sur l’énergie et le climat ; la loi aurait dû être adoptée avant le 1 er juillet 2023. De fait, l’analyse des variantes sera effectuée postérieurement à l’éventuelle décision d’autorisation environnementale, ce qui est incohérent et en décalage avec le code de l’environnement. » p. 15/43

Comme nous l’avons dit par ailleurs à de nombreuses reprises sur ce blog, non.epr2.net, nous sommes tout au plus en présence d’un projet industriel qui prétend garantir une sécurité des approvisionnements en électricité dans 15 au mieux pour un coût économique prohibitif et un coût environnemental dont malheureusement il n’a pas été suffisamment question à l’occasion d’un débat public plombé par la résolution du gouvernement et de ses alliés à courir toujours plus vite dans les bras de l’atome.

Le drame est que les choses sont pires encore. Non seulement EDF se montre d’une incroyable légèreté pour éviter, réduire et compenser l’emprise et les impacts de son projets, mais les deux partenaires, EDF et RTE, se marchent sur les pieds…

« Plusieurs mesures d’évitement et de réduction d’impacts de différentes natures ont été définies par EDF et RTE. La mesure d’EDF MR1 « réduction de l’emprise du chantier sur la valleuse de Penly » protège de toute intervention un secteur de coteaux calcicoles avec présence de l’Ophrys bourdon et du Damier de la succise. Cependant RTE va l’utiliser pour l’emprise des lignes aériennes. Il est donc nécessaire de vérifier la réalité de cette mesure de réduction et son effectivité à l’échelle du projet, ainsi que celles de l’ensemble des mesures ERC, d’autant que RTE signale ne pas avoir trouvé l’ensemble des zones de compensation compensation29. L’Ae rappelle que les mesures de compensation doivent être effectives avant le démarrage des travaux. » p. 23/43

En arriver à un tel demande un important effort de non-coordination et une absence de dialogue qui laisse entrevoir une poursuite du projet pour le moins compliquée….

Mais quand on croit avoir touché le pire, le dossier sait encore nous surprendre. Il en va ainsi de la gestion des effluents. Là encore le maitre d’ouvrage se contente du service minimum négligeant non seulement ce qui s’est dit au cours du débat public empêché sur le programme nouveau nucléaire français mais le bilan du débat public sur le 5e Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) qui a pourtant nettement influencé le Décret n° 2022-1547 du 9 décembre 2022 prévu par l'article L. 542-1-2 du code de l'environnement et établissant les prescriptions du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs. Le tout pour une fois plus déroger aux recommandations portées par le droit de l’environnement en général et la réglementation européenne applicable aux installations classées :

« Le dossier ne présente ni la démarche ERC, ni la mise en oeuvre du principe Alara pour les émissions radiologiques, ni la démonstration de la conformité des performances du projet aux meilleures techniques disponibles pour les émissions conventionnelles. Il se contente des améliorations génériques apportées par la filière EPR, dont les bases sont déjà anciennes (recommandation en tête du paragraphe 2). » p. 25/43

C’est quand même dingue d’en rester à ce stade à l’issue de deux décennies de dialogue environnemental sur les rejets des installations nucléaires de base, un livre blanc sur le tritium, des dialogues techniques fructueux, comme ce fut le cas à Paluel, pour limiter les impacts et préserver les milieux…

Preuve s’il en est que la filière nucléaire ne se distingue guère par sa vertu, son souci de respecter les règles qui lui sont applicables, et ses efforts pour ménager l’environnement… Des alternatives techniques existent, elles sont connues surtout à l’étranger mais ici manifestement ce sont toujours les mêmes pratiquent qui prévalent « dans des conditions économiquement acceptables ». Curieuse manière d’œuvrer à l’acceptabilité d’une filière qui peine à se perfectionner :

« Les deux unités EPR2 reprennent la technologie d’évaporateur mis en oeuvre sur le parc nucléaire en exploitation et non sur les EPR de Flamanville 3 et d’Hinckley Point C, pour des raisons de sécurité du personnel, de bruit et d’un plus large retour d’expérience. Les stockages des effluents sont similaires à ceux déjà installées sur les sites en exploitation, mais permettent un traitement par bullage de l’hydrazine. » p. 30/43

Est-ce ainsi qu’EDF pense faire face aux défis du XXIe siècle ? Est-ce ainsi que l’opérateur énergétique de l’Etat pense prétendre à une quelconque exemplarité environnementale ?

Ce n’est pas certain. Suffit pour s’en convaincre de regarder le tableau ci-dessus qui rappelle au combien l’exploitant nucléaire aime à disposer d’enveloppes généreuses pour rejeter des quantités conséquentes en toute impunité. Surtout quand on compare ce qui est déclarer par le maitre d’ouvrage et ce qui est déclaré par l’exploitant… en 2022 :

Il y a comme un écart ! Un écart tel que le maitre d’ouvrage propose pour l’hydrazine, de maintenir inchangée l’autorisation de rejet d’effluents aqueux du futur CNPE équipé de quatre unités. La belle affaire alors que le nouveau DARPE du CNPE est à l’ordre du jour en cette année 2024…

L’Ae n’est pas dupe. Elle connaît bien les artifices d’EDF pour « rester dans les clous » surtout en situation dégradée :

« Comme pour les rejets radioactifs, l’étude des incidences résiduelles ne porte pas sur les rejets réels ou estimés, mais sur les normes de flux de polluants qu’EDF souhaite voir appliquées à la centrale étendue, valeurs supposées majorantes. » p. 32/43

Pour rajouter avec sévérité :

« Cette approche limite l’étude des incidences aux seules substances réglementées aujourd’hui, sans analyser la nature et les flux de l’ensemble des polluants, ce qui est pourtant indispensable à une étude écotoxicologique et sanitaire. En particulier, le dossier ne détaille qu’une faible partie des substances générées par la chloration et l’électrochloration sur les métaux et matières organiques contenues dans l’eau de mer mer46 Dès lors que les effluents contiennent des oxydants résiduels en quantités importantes (2 600 tonnes rejetées par an), les réactions d’oxydation vont se poursuivre dans le milieu marin après le rejet. L’Ae considère qu’il importe de considérer la toxicité de l’ensemble des substances rejetées, en incluant les produits d’oxydation et les effets conjoints de tous les toxiques. »

Rien de très sérieux, mais surtout la reprise des mêmes vieilles ficelles qui ne trompent plus personne. Les années passent, Edf prétend avoir appris de ses erreurs du passé, perfectionné ses process, renforcé ses installations, etc. Si ce n’est que rien ne change vraiment. L’opérateur énergétique pense que l’on peut présenter un projet nucléaire comme cela se faisait dans les 70’. On sait où une telle facilité l’a conduit à Flamanville et à Hinkley Point !

« Cette approche par les normes, prises comme valeurs majorantes des concentrations aux rejets, rend parfois malaisée la démonstration de l’absence d’impact lorsque les normes sont trop élevées, alors même que l’utilisation des rejets maximums réels ou estimés, plus faibles, pourrait la faciliter, mais conduiraient à ajuster les normes à ces valeurs. A contrario, l’argument avancé à div erses occasions que le suivi des rejets des centrales nucléaires en milieu marin n’a pas mis en évidence d’impact n’est pas recevable, dès lors que les flux réels de polluants sont bien inférieurs aux flux qu’EDF souhaite se voir imposer et qui sont utilisés pour l’étude d’impact. » p. 33/43

Il ne suffit pas de coller aux normes, faut-il encore donner à voir un réel souci de progresser et des améliorations effectives, c’est-à-dire un ensemble d’éléments qui font cruellement défaut dans le dossier de demande d’autorisation environnementale à en croire l’AE.

« Le dossier n’indique pas si des améliorations des conditions de rejet ou de leur gestion permettrait de réduire encore l’impact. Aucune proposition autre que le rejet prévu plus au large n’est avancée pour réduire le panache thermique. » p. 36/43

Et c’est pire encore quand on s’intéresse à des détails comme la gestion des rejets d’hydrazine et autres substances sympathiques que les espèces vivantes apprécient tant…

Le plus drôle est qu’EDF ne recule devant rien pour satisfaire au requis réglementaire sans déclarer beaucoup de choses ni s’engager à quoi que ce soit. L’exemple des déchets l’illustre très clairement :

« L’étude d’impact se focalise sur la seule production de déchets destinés à une filière d’élimination. Elle ne comprend aucun élément sur la gestion du combustible (les matières nucléaires). Ce choix peut s’expliquer pour les combustibles du type « UNE » constitués d’uranium naturel enrichi qui peuvent se retraiter et être réemployés sous forme de combustible MOX ou « URE » (uranium de retraitement enrichi). Au demeurant si le dossier précise que le combustible MOX pourra être utilisé à hauteur de 30 % dans les nouvelles unités, il ne donne aucune précision sur la capacité actuelle ou future de retraitement. Par ailleurs, le retraitement du combustible génère des déchets ultimes pour lequel aucun débouché n’est autorisé à ce jour. » p. 37/43

Si bien que « L’Ae recommande d’étendre le chapitre « gestion des déchets » à toutes les matières radioactives, de caractériser l’ensemble des matières produites par le sit e et d’en préciser le devenir, notamment celui des combustibles usés, et les incidences des installations de gestion nécessaires, (dimensionnement des piscines en interne, capacité de prise en compte dans les installations type Orano à la Hague, voire mise en stockage). »

Pincez-moi pour le croire ! EDF est capable de demander une autorisation environnementale en s’épargnant d’apporter le moindre élément sur la gestion de substances au mieux problématiques sur des durées qui dépassent l’entendement humain. Problème global s’il en est. Mais problème d’actualité au vu de l’état de l’aval du « cycle » du combustible, de l’absence de solution définitive pour les HA et MA-VL, de la saturation des installations de l’Andra, d’Orano, etc.

Comme si on pouvait rajouter quelques centaines de tonnes de combustibles usés sur une durée de soixante ans sans que ça pose le moindre petit problème ni que ça représente la moindre contrainte ! Chose pour le moins surprenante alors que le débat public EPR2 a clairement identifié la question des déchets comme un sujet de préoccupation majeur

Last but not least, le changement climatique… Tout au plus on apprend que le projet pourrait être à l’origine de 5,7 MtCO2e, chiffre modeste au regard de la quantité de kWh qui sortirait des deux nouveaux réacteurs. Mais quand on dit ça, on ne dit rien. Rien sur les risques auxquels le site est exposé alors que chacun sait que la Manche devient de plus en plus capricieuse. Rien sur ce qui doit être mis en œuvre pour adapter le site et atténuer les effets du dit changement. Rien sur tout ce qui est déterminant pour décider ou pas de l’opportunité d’installer deux grosses bouilloires à Uranium sur ce littoral. Rien qui permette d’évaluer si le déploiement de l’éolien offshore aujourd’hui en débat serait pour ne prendre cet exemple une meilleure solution pour le territoire et l’environnement face au changement climatique…

C’est une fois encore le grand vide que peine à cacher la profession de foi en faveur d’une énergie bas-carbone. EDF ne répond à aucune question que chacun se pose légitimement et à des avis récurrents de l’Autorité environnementale qui reprend en 2023 des arguments déjà présentés en 2007 sur l’EPR de Flamanville.

Somme toute, on attendait mieux, ne serait-ce que pour être rassuré, quelle que soit la position que l’on ait sur le recours à l’atome. On attendait surtout plus de précisions, plus d’efforts, plus de souci de l’environnement que ce qui figure dans cette demande d’autorisation environnementale si fragile et défaillante. Tout porte à croire dans ce dossier soumis attivement aux pouvoirs publics que le maitre d'ouvrage n'est pas pret, que surtout il n'a pas pris le temps de dignement élaborer, voire dimensionner son projet. Tout porte à croire qu'il a repris à la va-vite le vieux projet de 2011 se contentant de le corriger à la marge pour faire rentrer 2 réacteurs de grande puissance sur un site inapproprié.

C'est une bien curieuse façon d'initier la relance du nucléaire...

A Claire