Le nucléaire maillon faible de l’adaptation au changement climatique

Beaucoup considère le nucléaire comme la solution face au changement climatique et à la nécessaire sortie des fossiles. Rien n'est moins sûr. Si le nucléaire émet peu de Gaz à effet de serre, il n'en reste pas moins une technologie fragile face à la péjoration du climat. Son adaptation n'est pas chose facile et risque de coûter fort chere sans garantir la sûreté et la sécurité qui s'imposent

CHANGEMENT CLIMATIQUE

Guillaume Blavette

4/18/20241 min read

Le contenu de mon poste

Les partisans du nucléaire le claironnent sur tous les toits : les centrales sont notre ultime recours face au changement climatique. Si cette très jancovicienne proposition a le mérite de la simplicité, elle n’en est pas moins fausse pour une simple raison, à savoir que le temps de l’atténuation est passé. L’humanité a tellement émis de gaz à effet de serre depuis deux siècles que le changement climatique est irréversible. Ce ne sont pas quelques EPR de plus en France qui vont corriger la donne fondamentalement, quel que soit le bilan carbone de la production électronucléaire… alors qu’il faut aujourd’hui au mieux quinze ans pour construire un réacteur.

Mais quand on a dit ça, on oublie l’essentiel, c’est-à-dire la vulnérabilité du parc nucléaire mondial en exploitation au changement climatique. Nulle autre installation n’est plus sensible aux aléas et autres catastrophes dites naturelles. Fukushima le rappelle amèrement. Les conséquences de la tempête Ciaran en novembre dernier le montre. Toutes les centrales de la Manche ont été touchées en particulier celle de Flamanville. Le nucléaire est ainsi exposé à un défi de taille, celui de l’adaptation au changement climatique. En effet bien des éléments amènent à considérer que l’exploitation des réacteurs sera de plus en plus difficile au fil des prochaines décennies.

« Quel que soit le mode de refroidissement, ouvert ou fermé, l’échauffement du milieu aquatique et les prélèvements d’eau sont limités par la réglementation pour être adaptés à la sensibilité de chaque site. En cas de canicule ou de sécheresse importante, susceptible de faire augmenter la température de l’eau et/ou diminuer le débit de la source froide, certains réacteurs doivent baisser leur production, voire s’arrêter, pour respecter ces contraintes réglementaires. » [Futurs énergétiques 2050, Chap. 8, p 8]

L’enjeu de l’alimentation en source froide en est un parfait exemple. Ce n’est pas tant que les centrales consomment énormément d’eau le problème. La difficulté concerne la capacité des milieux à apporter les quantités nécessaires au refroidissement puis à recevoir des rejets dont les températures et la composition sont pour le moins impactant. L’été 2022 a donné à voir l’ampleur du défi auquel le parc nucléaire fait face. Et ce n’est pas près de s’arrêter à en croire la Cour des Comptes :

« Compte tenu de l’inertie climatique, le parc nucléaire français devrait donc connaître une multiplication des épisodes climatiques chauds intenses qui affecteront la production des sites les plus thermosensibles au regard de la ressource en eau principalement (limites thermiques et débits), à un moment où les besoins en électricité auront probablement augmenté (électrification des usages, augmentation de la climatisation). »

Même si ce rapport se montre plutôt bienveillant vis-à-vis d’EDF, il n’en dresse pas moins un tableau inquiétant. La hausse des températures associée à une évolution des disponibilités en eau de surface présente une menace sur la disponibilité du parc nucléaire voire sur sa sûreté.

« Mais les épisodes climatiques extrêmes plus fréquents et plus intenses mettent le parc nucléaire français en situation de stress », estime Yves Marignac, de l'association négaWatt. Au-delà de l'environnement, les canicules « peuvent avoir des conséquences sur le fonctionnement des ventilations, des matériels de sûreté, et sur les capacités de refroidissement des systèmes de sûreté assurant l'évacuation de la puissance du réacteur », relève l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) dans une note publiée fin juillet.

Les températures retenues lors de la conception des réacteurs « ont été dépassées en 2003 et 2006 », rappelle l'IRSN, ce qui a conduit EDF à renforcer les installations. « Des équipements ont été remplacés par de nouveaux matériels ayant une meilleure tenue à des températures élevées ». L'électricien réalise aussi des tests de température sur les groupes électrogènes de secours. Il s'agit là de « matériels essentiels à la sûreté des réacteurs dans différentes situations accidentelles », souligne l'IRSN. Or « de fortes températures peuvent perturber leur fonctionnement ». [Les échos, Aout 2020]

A en croire RTE, le risque d’indisponibilité pour les réacteurs sensibles au climat pourrait augmenter d’un facteur deux à trois. Jusqu’à 10 TWh pourraient être perdus dans certaines circonstances au vu des scénarios les plus pessimistes du GIEC. Ainsi avec le scénario N03 de RTE le risque d’indisponibilité estivale pour cause de sécheresse s’élèverait à 8.5 GW, soit 13.5% de la puissance installée…

On comprend mieux l’alerte lancée par la Cour des comptes début mars 2024. Si la relance du nucléaire peut apparaître comme une bonne idée en termes d’atténuation du changement climatique, un tel pari se heurte à l’enjeu de l’adaptation. Cette filière quoi qu’en disent ces partisans est en effet extrêmement sensible aux variations des températures et des précipitations. Les fortes chaleurs exposent les installations à des risques structurelles, notamment la perte d’alimentation électrique, alors que les sécheresses menacent la source froide, réduisent voire interrompent la production. Et ce n’est pas une nouvelle modification de la réglementation qui changera cet état de fait :

« La loi encadre ainsi la température que peut avoir l’eau en aval de la centrale pour éviter de trop la réchauffer. Des limites de température en situation normale en situation climatique exceptionnelle sont ainsi définies, la production devant s’interrompre en cas de dépassement pour ne pas abîmer l’environnement. Mais en 2022, le mécanisme de dérogation exceptionnelle prévu par ce cadre réglementaire a été activé par Christophe Béchu pour la première fois pour faire face à la crise énergétique.

Des "autorisations exceptionnelles qui ont permis de préserver 0,2 TWh", indique Cécile Laugier, directrice Environnement et Prospective de la division production nucléaire d’EDF. Le tout sans quasiment aucun impact sur l’environnement considère l’observatoire des milieux aquatiques d'EDF. "Ce cadre réglementaire a fait ses preuves et a montré sa bonne capacité d’adaptation", estime la directrice, qui plaide tout de même pour son adaptation. Plutôt que de définir des températures fixes limites, il serait plus pertinent, pour l’énergéticien, de fixer un écart maximum de température entre l’amont et l’aval de la centrale» [Challenges, Mai 2023]

Le changement climatique est une loi d’airain qui s’impose à l’exploitation des réacteurs à eau pressurisée quelle que soit leur génération. En effet les EPR ne sont guère plus robustes que leurs prédécesseurs. On peut même considérer qu’ils sont plus sensibles au regard de leur puissance et des quantités d’eau nécessaires à leur refroidissement :

« S’agissant des projets de réacteurs EPR2 de bord de mer, dont la situation est différente, les futurs réacteurs de Penly seront installés à 11 mètres au-dessus du niveau de la mer, ce qui n’est pas le cas de ceux de Gravelines. Comme indiqué précédemment, EDF prend en compte une prévision qui permet de couvrir l’élévation du niveau marin due au changement climatique à horizon 2100 selon le scénario le plus pessimiste du GIEC. Ces nouveaux réacteurs sont conçus pour résister à des aléas climatiques de niveau décamillénal et intègrent une marge de + 1 mètre, sans toutefois inclure une marge à la hauteur des effets éventuels d’une accélération possible de la fonte des calottes glaciaires. Il s’agit d’un évènement à faible probabilité mais à fort impact, dont le HCC estime qu’il est prudent de tenir compte pour des installations sensibles de longs termes, et qui induit dès 2075 une élévation du niveau de la mer de 0,9 à 1,25 mètres, soit plus de deux fois ce qui est projeté à la même date dans le scénario SSP5-8.5135.

Pour les huit EPR2 en option dont les sites n’ont pas encore été désignés, EDF a précisé que de nouveaux sites d’implantation ne sont pas envisagés à ce stade et qu’en l’état actuel des connaissances, aucun site en exploitation n’est exclu. Au vu des analyses menées par l’exploitant, il convient d’appeler l’attention sur les conséquences à terme de la thermo-sensibilité de certains sites, pour lesquels le réchauffement climatique devrait accroître les pertes de productible à horizon 2050. Ce risque pourrait être accentué en cas d’effets de cumul des rejets résultant de la prolongation du parc actuel et de la concentration d’EPR2 sur certains fleuves.

La question du choix de la localisation des huit EPR2 en option devra être attentivement examinée lors des études de préfaisabilité (cf. tableau 15). La consolidation du plan de déploiement de ces EPR2, et en particulier les plannings de construction et de mise en service, peuvent en effet difficilement être entérinés en l’absence de ces études» [Cour des Comptes, Mars 2023]

Les contraintes qui ont déjà commencé à s’exercer sur les installations en particulier lors des canicules ne sauraient cependant être limitées à la seule source froide. L’ensemble des équipements est exposé à la modification du climat, aux grands chauds comme aux grands froids.

C’est bien ce qui figure dans de nombreuses publications de l’Autorité de contrôle et de son appui technique relatives au « référentiel grands chauds ». Ainsi le courrier de position de janvier 2013 relatif aux réacteurs CPY montre clairement que l’enjeu est d’adapter l’ensemble de l’installation à de fortes variations de températures afin de garantir la fonctionnalité de nombreux équipements importants pour la protection. Les agressions que subiraient un réacteur ne sont pas seulement externe mais peuvent venir de l’intérieur suite à une défaillance d’un circuit ou d’un équipement que les températures rendraient indisponibles. L’exploitant ne l’ignore pas :

« À la suite de l’épisode caniculaire de l’été 2003, EDF a mis en oeuvre sur son parc nucléaire un plan d’actions « canicule et sécheresse » comportant des objectifs de court terme pour traiter les vulnérabilités les plus sensibles, mais également des objectifs à plus long terme visant à proposer des évolutions de référentiels. A ainsi été conçu un référentiel « grands chauds » en 2006 définissant, notamment, des niveaux d’aléa de températures de l’air et de l’eau projetées à l’horizon de 2030 par une méthode statistique d’extrapolation des tendances des températures maximales observées. Les valeurs maximales de température de l’air, propres à chaque site, peuvent varier et atteindre 46°C. Pour le CNPE de Tricastin par exemple, le niveau d’aléa de température d’air est de 45,7°C. Pour la température de l’eau, les valeurs maximales sont comprises entre 22°C et 37°C.

La capacité des installations à faire face aux aléas de température du référentiel « grands chauds » a conduit à la mise en œuvre de modifications d’ampleur, au rythme des réexamens périodiques ou de manière anticipée entre les visites décennales, selon les paliers. Sur le palier 900, ces améliorations ont été déployées entre 2013 et 2017, puis en 2018 et 2019 sur les quatre tranches du site de Bugey. Sur les autres paliers, ces améliorations seront complètement intégrées à l’issue des VD3 1300 (de 2015 à 2024) et des VD2 N4 (de 2019 à 2025). Cette robustesse est renforcée par les analyses complémentaires réalisées dans le cadre des quatrièmes visites décennales en cours des réacteurs de 900 MWe (VD4 900) et par les modifications en résultant» [Cour des Comptes, mars 2023, p. 49]

Ces améliorations portent sur :

  • le conditionnement thermique de certains bâtiments contenant des matériels de sûreté (locaux électriques, bâtiment combustible, stations de pompage d’eau brute de sûreté, bâtiments des groupes diesels de secours) : augmentation des débits de ventilation et/ou de la capacité frigorifique, ajout de climatisations, remplacement de matériels électriques par des matériels dissipant moins de chaleur, remplacement de groupes de production d’eau glacée et mise en place de dispositifs de brumisation.

  • la tenue à la température de certains matériels de sûreté pouvant être sensibles vis-à-vis de ce phénomène, notamment par le remplacement de certains composants thermosensibles par des composants répondant aux nouvelles exigences du référentiel grands chauds ou par leur protection (remplacement de moteurs électriques, câbles, de capteurs, installation d’écrans de protection thermiques, renforcement de supports de tuyauteries des circuits de refroidissement pour prendre en compte les efforts supplémentaires de dilatation).

  • le refroidissement de certains matériels (installation d’hydro-réfrigérants et remplacement de vannes thermostatiques).

  • la capacité d’échange thermique des échangeurs entre le système de réfrigération intermédiaire et le système d’eau brute secourue de certains sites par l’ajout de plaques et l’amélioration du suivi en continu de leur capacité d’échange.

Des incertitudes demeurent néanmoins voire des doutes. En effet les hypothèses retenues par EDF ne sont pas toujours adaptées et les scénarios envisagés peu pénalisants. On l’a constaté à l’occasion des VD4 900. Les températures maximales, en cas de canicule, dans certaines zones thermiquement sensibles peuvent dépasser nettement les seuils admissibles à en croire le CODEP-DCN-2012-068588. Et ce pourrait être pire encore en cas de défaillance du système aspersion de sécurité en séquence accidentelle alors que tous les équipements n’ont pas été pris en compte par l’exploitant.

Si des modifications ont été réalisées depuis cette date à la faveur des visites décennales, beaucoup reste à faire manifestement et amène à douter de la résilience des installations qui n’ont pas été conçues pour faire face à des hausses de température aussi importantes.

« L’objectif d’adaptation au changement climatique est intégré depuis quelques années à la politique de responsabilité sociale d’entreprise d’EDF. Cependant les épisodes climatiques de l’été 2022 l’ont conduite à accélérer la démarche. Le groupe n’anticipait en effet jusque-là l’apparition de tels phénomènes qu’à un horizon de 15 à 20 ans. Des plans d’adaptation au changement climatique ont été élaborés, notamment au sein de la direction de la production nucléaire, dont le projet « ADAPT » prévoit d’analyser à horizon 2050, site par site, les conséquences du changement climatique pour sécuriser la production. Les investissements d’adaptation résultant de ce plan sont intégrés dans le programme industriel Grand Carénage de rénovation et de modernisation des centrales nucléaires existantes, visant à prolonger la durée de leur fonctionnement. Pour les nouveaux programmes nucléaires (Flamanville 3 et EPR2), la démarche d’adaptation s’inscrit dans un plan de gestion et d’atténuation des risques dès la conception des centrales» [Cour des Comptes, mars 2024, p. 77]

Mais derrière les intentions se cachent un menu détail dont la Cour des Comptes fait état dans son rapport de 2023 déjà cité. Si aucune innovation significative n’a jusqu’à présent été déployée sur le parc existant pour faire face au changement climatique c’est pour une raison simple, à savoir un défaut de capacités financière évident. Ainsi EDF renvoie toujours à demain des opérations indispensables sans être en capacité de les chiffrer précisément. Tout au plus l’exploitant reconnaît un cout de 612 M€ pour la période 2022-2038 sans beaucoup de précisions, l’essentiel de l’effort concernant les 1 300 MWe à l’occasion des VD4. L’essentiel de l’effort envisagé porte une fois encore sur la source froide et la protection contre les agressions externes. Bien peu est consacré à l’adaptation des équipements et dispositifs alors que rien ne garantit qu’ils pourraient tenir durablement à des niveaux de températures plus élevés surtout en situation dégradée. Les marges finissent toujours par fondre surtout face à des pics thermiques...

En tout cas une chose est certaine, la disponibilité en particulier estivale du parc peut être nettement affectée. Bien évidemment la source froide peut manquer et impose de mettre en œuvre des mesures adaptées. Reste que le problème est bien plus important que d’aucuns le pensent. L’eau ne saurait être le seul motif d’inquiétude. C’est la technologie même des réacteurs à eau sous pression qui est en cause. Conçue pour fonctionner en milieu tempéré, ces machines ne proposent pas un système optimum dans un environnement chaud et sec à moins de concéder comme à Palo Verde à des dispositifs onéreux et gourmands en énergie. Des défaillances peuvent survenir à tous les niveaux, notamment sur l’alimentation électrique, et entrainer des arrêts plus ou moins long.

Le déploiement à grande échelle de SMR et autres AMR qui ne nécessiteraient pas d’eau n’est pas une solution cependant. Tout d’abord parce que ces réacteurs sont encore à l’état de préprojets pour la plupart d’entre eux. Ensuite parce que leur déploiement dans des conditions économiquement acceptables ne peut être envisagé qu’au milieu de la prochaine décennie en dépit de l’empressement de quelques acteurs. En tout cas le problème reste entier. Non seulement l’engouement pour des systèmes de commande automatisés n’a rien de rassurant mais ces réacteurs n’en resteront pas moins exposés à des agressions externes dont les concepteurs peinent à justifier la maitrise.

Somme toute la technologie nucléaire donne clairement à voir des signes de fatigue. Si elle a pu à la fin du XXe siècle apporter de l’électricité en grande quantité dans les pays industriels développés, elle est aujourd’hui rattrapée par une longue série de contraintes et de lourdeurs qui la disqualifient à l’échelle du XXIe siècle. Le changement climatique qu’elle prétend atténuer n’en est pas la moindre. Exploiter des réacteurs nucléaires dans un contexte thermique dégradée en faisant face à une ressource en eau plus rare n’est pas chose évidente. C’est techniquement possible mais dans des conditions qui ne sont guère économiquement acceptable. Plus que jamais le nucléaire apparaît comme la pire des solutions face à la question énergétique. Sa taille, ses besoins, ses contraintes techniques comme ses contraintes de sécurité font du nucléaire une énergie d’hier. La péjoration du climat et plus globalement la dégradation de l’environnement disqualifie cette technologie en faisant pencher la balance du côté des inconvénients voire des fragilités. Il existe aujourd’hui des technologies bien plus résilientes qui peuvent permettre de faire face aux besoins d’énergie.