L'IRSN publie un rapport accablant sur la filière Mox

A l'heure où EDF veut charger les réacteurs de 1.300 MWe avec du Plutonium, l'IRSN publie un rapport accablant sur le recours au combustible Mox

Guillaume Blavette

7/14/20228 min read

Le sujet est pour le moins complexe. Il concerne les conséquences du choix par la France du traitement des combustibles usés des réacteurs nucléaires. La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) a réaffirmé ce choix en avril 2020 en dépit des fortes réserves exprimées à l'occasion du débat public sur la Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs.

Cet acharnement de l'Etat et des opérateurs nucléaires à persévérer dans cette voie est d'autant plus surprenante que des réserves majeures ont été formulées tant par l'Autorité de contrôle que par son appuis technique, l'Institut de radioprotection, à l'occasion de la présentation en 2016 par EDF du dossier Impact Cycle. Non seulement les experts non-institutionnels dénoncent l'impasse de ce que certains appellent le "recyclage", mais des institutions très officielles, le Haut Comité et la Cour des comptes, pointent les failles et les fragilités de la stratégie imposée sans la moindre concertation au méprise de la réalité.

Si l'indépendance énergétique de la France apparaît comme un tour de passe-passe, le problème est plus grave encore tant du point de vue de la sûreté que de celui de la prolifération de matières fissiles. Très concrètement, depuis le début de l'exploitation du parc nucléaire, la France accumule des quantités toujours plus grande de Plutonium, matière pour le moins dangereuse et extrêmement toxique.

Ce qui a pu apparaître comme un "coup de génie" _ à moins que ce soit un coup de folie _ de la filière nucléaire touche à ses limites. Non seulement, le moxage apporte une contrainte supplémentaire à l'exploitation de réacteurs obsolètes et usés par le temps, mais il génère un potentiel de risques dont Fukushima nous offre le stricte spectacle. Surtout, il nous expose à une accumulation non maitrisée des matières radioactives, à La Hague, où un projet de densification est en cours, et ailleurs...

C'est ainsi qu'aujourd'hui, l'IRSN après la publication pour le moins critique d'un avis sur le dossier impact cycle en 2018, publie, avec quelques trois mois de délais, un nouveau rapport que vous consulter sur la page de ce blog consacrée aux déchets ou en ligne sur le site de l'Institut. Le propos est sévère en dépit des efforts des experts de Fontenay-aux-Roses pour "enrober la balle de miel".

"L’IRSN estime que certaines hypothèses retenues par les exploitants devraient être mieux justifiées. L’IRSN considère néanmoins que les hypothèses retenues par les exploitants dans l’étude [4] sont globalement adaptées à son objectif." p. 10

Comme on pouvait s'y attendre, l'IRSN rappelle que les installations d'entreposage sont arrivent à saturation et qu'il va falloir disposer dans les plus brefs délais de capacités supplémentaires quels que soient les arguments développés par les exploitants (p. 11)... d'autant plus que " l’IRSN estime que la densification des piscines C, D et E de La Hague ne saurait être envisagée que comme une solution transitoire dans l’attente de la nouvelle piscine d’entreposage d’EDF." Ensuite, l'Institut s'interroge sur la possibilité effective pour Orano de reprendre des rebuts Mox (p. 14)... sur celle de faire face à un stock croissant d'uranium de retraitement au Tricastin en particulier. D'autant plus que cet entreposage est pour le moins problématique comme le donne à voir l'observation n°1 :

" S’agissant du remplissage des allées centrales des parcs actuels, l’IRSN estime que cela impacte les conditions d’intervention des opérateurs pour la reprise de l’URT entreposé. Aussi, l’IRSN estime que, comme pour d’autres entreposages, l’exploitant devrait définir une capacité opérationnelle maximale des parcs intégrant des emplacements de réserve visant à limiter la dosimétrie des intervenants lors des opérations de manutention. Ceci conduit l’IRSN à formuler l’observation suivante. " p. 15

Mais là n'est pas le plus alarmant. " Au regard du retour d’expérience des six dernières années de production de ces usines, le ratio entre la quantité annuelle de plutonium produit et la quantité d’assemblages combustibles usés traités fluctue annuellement et sa valeur a déjà dépassé 1,10 %. Une variation de la teneur moyenne en plutonium des assemblages combustibles UNE usés peut induire une sous-estimation du flux de plutonium produit, valeur utilisée pour apprécier l’occupation des entreposages de plutonium." (p. 8) 

Nous serions face à un défaut de sincérité des exploitants nucléaire qui par des jeux comptables minimisent les quantités effectives de Plutonium qui circulent au sein de la filière Mox fragilisant encore un peu plus l'aval du "cycle" nucléaire :

À cet égard, une variation de la teneur moyenne en plutonium des assemblages combustibles MOX neufs induit une variation du flux de plutonium nécessaire à leur fabrication, valeur utilisée pour apprécier l’occupation des entreposages de plutonium et les quantités d’assemblages combustibles usés devant être traitées (ce qui influe sur l’occupation des piscines d’entreposage des assemblages combustibles usés de l’établissement de La Hague)." p. 9

Non seulement "il appartient à Orano Recyclage d’anticiper les démarches permettant l’évacuation des piscines des bâtiments « combustibles » des réacteurs, dites « piscines BK », de ces assemblages combustibles MOX", au vu de la décision de l’ASN n°2018-DC-0625 de février 2018 limite l’autorisation de réception et d’entreposage des assemblages combustibles MOX sur le site de La Hague à une teneur moyenne maximale de 8,78 % en plutonium avant irradiation", mais surtout cela implique de mettre en œuvre au plus tôt des mesures de sûreté et de radioprotection efficientes dans un contexte de fragilité économique des exploitants.

On est bien en présence d'une congestion complète de l'aval du "cycle"... accélérée par le traitement des combustibles à l'inverse des intentions de ses promoteurs. Situation que l'IRSN reconnaît implicitement considérant que cette étude n’est plus représentative de la situation actuelle du fonctionnement du cycle du combustible...

A Marcoule, la situation n'est toute aussi dégradée que dans le Nord Cotentin au point d'amener EDF à charger certains réacteurs avec des combustibles UNE en lieu et place des Mox manquant... non sans poser quelques menus problèmes :

" En conséquence, Orano Recyclage a décidé la création de trois nouvelles zones d’entreposage de boîtes de rebuts (RBM) provenant de l’usine MELOX dans les usines de la Hague (ateliers BST1, R4 et T4). Ces entreposages permettront la création de capacité supplémentaire d’entreposage de RBM entre 2022 et 2024 (378 emplacements dans l’atelier BST1 seront disponibles début 2022, 700 emplacements dans l’atelier R4 disponibles en 2023 et 300 emplacements dans l’atelier T4 disponibles en 2024). Le dossier d’autorisation de modification concernant la première zone d’entreposage dans l’atelier BST1 est en cours d’expertise à l’IRSN [12]." p. 16

Melox n'est décidément pas une installation robuste. Mais c'est son modèle industriel et économique qui est aujourd'hui en péril...

L’analyse du REX d’exploitation plus lointain fait apparaitre qu’en 2003, l’usine MELOX a été confronté à des problèmes de production (retard dans la production à la suite de pannes répétées, saturation des entreposages de rebuts, retard important dans la maintenance des équipements…) similaires à ceux observés depuis 2018. Les plans d’actions mis en œuvre à cette époque étaient globalement similaires à ceux mis en œuvre aujourd’hui (recrutement important de personnels de maintenance, plan de montée en compétences de tous les intervenants) [13]. Ces éléments ont été expertisés dans le cadre de la demande d’augmentation de la capacité de production à 195 tML [14]. Le plan d’actions mis en œuvre avait conduit à une amélioration de la production au bout de deux ans environ. L’IRSN souligne que la situation actuelle présente également des problématiques liées à la qualité des assemblages combustibles produits et à une augmentation des débits de dose aux postes de travail. Aussi, l’IRSN estime, à ce stade, qu’il est difficile de se prononcer sur une cinétique d’amélioration de la production de l’usine MELOX." p. 18

Et si on ajoute à ces dysfonctionnements méridionaux l'usure et la faible disponibilité des évaporateurs de La Hague, on est bien en présence d'un effondrement global du traitement des combustibles en dépit des artifices des exploitants pour cacher cette situation alarmante :

" Le retour d’expérience d’exploitation récent (2020-2021) montre que les résultats réels (production de l’usine MELOX, quantité d’assemblages combustibles usés réceptionnée dans les piscines de La Hague, capacité de traitement des usines de La Hague, transfert des assemblages combustibles usés entre les piscines des réacteurs du parc et les piscines d’entreposage de La Hague) diffèrent des données utilisées dans l’étude des effets de la PPE sur la cohérence du cycle [4]." p. 19

Ainsi la recommandation n°2 de l'IRSN apparaît comme un avertissement puissant :

"Au regard des risques de saturation des entreposages de plutonium et des piscines d’entreposage des assemblages combustibles, l’IRSN recommande qu’EDF, en lien avec les exploitants du cycle du combustible, présente au plus tôt l’ensemble des projets en cours pour prévenir ces saturations et leurs jalons de réalisation tenant compte de leurs enjeux de sûreté et de radioprotection, et assure le suivi de ces jalons.

En outre, les exploitants devraient informer périodiquement l’ASN de la réalisation des jalons des différents projets et de l’évolution de la situation de la production des usines MELOX et de l’établissement de La Hague." p. 20

Aussi, l’IRSN considère que les exploitants doivent mettre en place un dispositif de suivi régulier du fonctionnement de l’ensemble du cycle du combustible permettant, d’une part d’anticiper la mise en oeuvre de parades, tenant compte de leurs enjeux de sûreté et de radioprotection, d’autre part de pallier la saturation des différents entreposages en cas d’aléas sur une installation ou sur un projet en cours de réalisation. 

A long terme, la situation n'est guère plus rassurante en dépit des précautions prises par l'Institut pour rassurer le plus grand nombre. La gestion des combustibles usés est durablement précarisé tant à la source au vu de la faible disponibilité des réacteurs qu'en son débouché au regard de la dégradation de l'outil industriel à Marcoule comme à La Hague.

La seule issue est clairement le recours à l'entreposage des combustibles usés et des rebuts d'une filière Mox condamnée. Il s'agit en d'autres termes de renoncer au mythe du recyclage pour envisager un nouvelle gestion des matières et déchets radioactifs qui évite les écueils du traitement et de l'enfouissement en couche géologique profonde. Des solutions existent à l'étranger, il conviendrait de les mettre en œuvre ici dans le souci de la radioprotection, de la sûreté et de la plus élémentaire rationalité économique.

" En effet, les difficultés de production de l’usine MELOX conduiront à la saturation des entreposages de plutonium à court terme. Par ailleurs, la baisse de la capacité de traitement des assemblages combustibles usés de l’établissement Orano Recyclage de La Hague (fonctionnement de l’usine UP3-A avec deux évaporateurs PF depuis décembre 2021, arrêt prochain des usines de cet établissement pendant plusieurs mois pour la mise en service de nouveaux évaporateurs PF) avance encore l’échéance d’une possible saturation des entreposages actuels d’assemblages combustibles. Enfin, cette échéance pourrait être mise en cause en cas de nouvel aléa affectant cette capacité de traitement." p. 22

Ce n'est pas en persévérant dans une stratégie ancienne qui a prouvé au fil des années son manque de robustesse, que l'on trouvera les solutions qui s'imposent pour gérer la montagne de déchets que nous liasse la filière nucléaire.

Il nous revient collectivement de définir les modalités d'une nouvelle gestion des combustibles usés dans la continuité des discussions qui ont eu lieu à l'occasion du débat public sur le PNGMDR. Laisser aux exploitants la capacité de décider des modalités et des objectifs de la gestion est une erreur. Ce rapport publié par l'IRSN le rappelle.

Osons des solutions nouvelles et mettons les œuvre au plus tôt en n'oubliant jamais que la mise à l'arrêt définitif des réacteurs est la meilleure garantie pour aujourd'hui comme pour demain !