Bloquer le débat public EPR2 n'est ni opportun ni utile

Jeudi soir s’est passé un événement pour le moins surprenant. Un groupe d’activistes a surgi dans la salle du débat public sur le programme nouveau nucléaire français pour empêcher le bon déroulement de la séance. Action d’autant plus surprenante que des militant(e)s écologistes participaient à cet événement, certain(e)s ayant fait le déplacement depuis la Normandie.

Guillaume Blavette

1/28/20236 min read

L'interruption pour le moins consternante par quelques personnes qui prétendent à la qualité d’antinucléaire s’inscrit dans une tendance lourde qui fragilise l’action et la parole écologiste depuis plus d’une décennie, le mépris et le dénigrement de toutes les instances publiques de dialogue et de concertation. On est bien en présence d’une régression spectaculaire de l’écologie politique qui n’a d’égale que l’incapacité de certains qui se prétendent écologistes à mobiliser et à produire une parole construite.

Un débat public déserté

Le chahut organisé à Lille, jeudi 26 janvier 2023, est à la mesure du modeste investissement de bon nombre d'organisations écologistes associatives et politiques dans ce débat public attendu depuis la publication de la Programmation pluriannuelle de l’énergie. Si ce n’est France Nature environnement et Global Chance, bien peu ont donné un souci majeur de faire vire et d’animer le débat.

Il suffit de comparer ce débat et celui organisé en 2010 sur le projet Penly 3 pour prendre la mesure de l’effondrement politique du mouvement écologiste. Non seulement, les rassemblements sont modestes mais le nombre de militants participants effectivement aux débats a fondu comme neige au soleil. Ces organisations ne sont même plus en capacité de produire des cahiers d’acteurs et des tribunes. A Saclay ou au Petit-Caux, Greenpeace n’était ainsi représenté que par une seule personne alors qu’il y a 10 ans de nombreux militants issus de différents groupes locaux étaient présents et actifs à chaque séance.

Cette réalité est d’autant plus dommageable qu’en face, ils sont organisés, actifs et nombreux. En effet depuis le débat public sur la PPE, les organisations pronucléaires ont gagné en poids comme en efficience, au point aujourd’hui d’apparaître comme l principale force militante en séance, lors des diffusions sur le net et sur le site du débat public. Ils ont en quelque sorte repris ce qui jusque-là était la pratique des antinucléaires non sans se présenter eux-mêmes comme écologistes…

Un débat public contesté

On est en présence d'une réelle désaffection mélange étonnant de manque d'information et d'une profonde défiance. Beaucoup ne savent même pas qu'un débat public est en cours. Un grand nombre n'y prête attention alors que les enjeux énergétiques ont été recouverts par une angoisse climatique bien plus facile à mettre en scène. D’autres s'en prennent directement au débat public tel qu'il est mis en oeuvre par la CNDP mettant en cause la procédure même du débat voire la légitimité d’organiser une procédure d’information et de concertation.

ll faut dire qu’un tel positionnement est bien commode. Tout en affichant une radicalité de façade, organisations et militants se soustraient au nécessaire travail de compréhension et d’argumentation qu’implique un débat public. Point besoin de lire des milliers de pages, de confronter des informations et construire une analyse, il suffit pour ces gens-là de reprendre quelques slogans et autres vieux discours pour construire une position publique face au projet qui est présenté.

Les principes mêmes de la Convention d’Aarhus et tout ce qui a amené ici en France à la création de la CNDP _ est foulé aux pieds en vertu de la loi du moindre effort. Et cela pour la même et identique raison recyclé à chaque débat public : à savoir que cela ne servirait à rien, que les décisions sont déjà prises, que le politique n’en a rien à faire des opinions de la multitude, etc. Et ainsi d’aucuns jettent le bébé avec l’eau du bain sans autre souci que leur propre image et la capacité à mettre en scène un coup d’éclat aussi futile qu’inutile.

Un débat exposé à une brutalisation absurde

Tel est là le problème de fond en effet. Les contempteurs et autres saboteurs de débat public oublient ou plutôt négligent l’ensemble des actions qui ont cherché à installer au cœur du modèle colberto-jacobin français une participation fondée sur le droit de chacun de concourir aux décisions politiques. C’est un pilier de l’écologie politique telle qu’elle a été définie par ses Pères fondateurs qui est sapé par ces gens-là.

On se trouve en face d’une conception archaïque du pouvoir de l’action politique de personnes qui prétendent incarner la vérité. Curieuse conception de la démocratie s’il en est et surtout aperception complète de la complexité des problèmes voire de la multiplicité des intérêts. Complexité réelle que donne à voir ce débat public alors que la situation de la filière nucléaire est difficile pour ne pas dire plus.

Mais les chahuteurs ne s’en rendent pas compte donnant une image déplorable du mouvement antinucléaire et plus encore en empêchant le débat de toucher à l’essentiel, à savoir admettre comme la possibilité effective que le programme ne se fasse pas… que Bruxelles n’accepte pas le plan « Hercule »… et qu’il faille donc envisager pour chacun une sortie par le haut au regard de l’impossibilité d’une relance du nucléaire dans des conditions économiquement acceptables tant pour l’usager que pour le contribuable.

Somme toute leur action arrange en dernier recours un maître d’ouvrage qui n’a pas grand-chose à dire depuis le débat public. En empêchant opportunément la présentation à un large public des incertitudes et autres fragilités du financement du PNNF, l’action des activistes entrave la compréhension par le plus grand nombre et par ceux et celles qui seront amenés à voter la LPEC l’été prochain des enjeux.

On est en face d’une brutalisation du débat au sens large sur les choix énergétiques et technologiques à un moment où nous n’avons pas d’autres choix que d’imaginer des solutions nouvelles, justes et efficientes pour garantir à tou(te)s le droit à l’énergie, le droit de vivre dans un environnement sain et surtout le droit de participer aux choix technologiques.

Un débat public qui reste néanmoins utile

En dépit de toutes les difficultés rencontrées pour l’organiser et le maitre en œuvre, ce débat public a le mérite d’exister. Si il apparaît de prime abord comme une manifestation de force du mouvement pronucléaire fort d’un soutien présidentiel sans nuance et de la résolution du maitre d’ouvrage, ce débat est plutôt le chant du cygne de l’atome triomphant. Les séances sur la technologie EPR2, le retour d’expérience de Flamanville et les ateliers de travail sur les coûts ont été accablants pour le Maitre d’ouvrage.

Jamais EDF n’a été aussi fragile face à des arguments et autres remarques qui ne viennent pas tant des opposants mais d’autorités administratives et d’experts institutionnels. Ainsi les interventions de la Cour des Comptes à Caen puis le 24 janvier 2023 sont accablantes. Non seulement la Rue de Cambon considère qu’EDF n’est pas prêt à lancer un programme industriel aussi massif dans son rapport sur l’EPR mais les remarques développées sur le financement confirment les analyses des opposants au projet.

On est donc en face d’un étrange paradoxe. Alors que la filière nucléaire est à la peine, que la critique écologiste classique se trouve confirmée par les faits, d’aucuns interviennent pour empêcher le débat de se tenir et surtout le plus grand nombre d’accéder à l’information. Tout le défi est de déterminer si de tels enfantillages narcissiques se poursuivront alors que le débat « Penly » touche au cœur du problème posé (financement, risques et gouvernance). Il est indispensable qu’en dépit des jeux parlementaires et des effets d’annonce de l’exécutif, que la réflexion commune sur l’opportunité, les modalités et les objectifs d’une éventuelle relance du nucléaire aille à son terme… d’autant plus qu’elle n’a guère eu lieu dans le cadre de la concertation nationale initiée par le gouvernement cet automne.

Il est nécessaire pour cela que d’aucuns s’engagent dans ce débat à la mesure des enjeux, que d’autres renoncent à des jeux de posture et autres pratiques qui relèvent plus de l’obstruction que de la participation et surtout que le plus grand nombre admette que les choix technologiques ne sont pas le monopole d’une caste d’experts et autres spécialistes.

Comme nous l’avions établi à l’occasion du Débat public sur le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, nous sommes en présence d’une question éthique et non pas d’un débat technique. Chacun en sait suffisamment sur le nucléaire pour faire valoir remarques, opinions et autres proposition sur un système complexe, trop complexe, hors de prix et qui se distingue par le bouquet de risques et autres incertitudes auquel il nous expose de la Mine aux déchets.

Le courage est donc de participer…