Le grand bond en arrière atomique

Depuis la catastrophe de Tchernobyl, les gouvernements successifs ont globalement rompu avec le mythe du "tout nucléaire". Tant bien que mal, les énergies renouvelables ont connu une montée en puissance et un seul projet nucléaire d'envergure aura vu le jour, l'EPR de Flamanville. La catastrophe de Fukushima a amené l'Etat à franchir un pas de plus en renforçant le droit applicable aux installations nucléaires puis en proposant la diversification du mix électrique. Tout cela n'aura duré qu'un temps. Des premiers coups ont été porté à ce compromis dès 2019. Et aujourd'hui, le gouvernement cherche à revenir vers le tout nucléaire avec un projet de loi abracadabrantesque...

Guillaume Blavette

1/7/202411 min read

Si en août 2015, une loi de transition énergétique a été voté, force est de reconnaître que bien peu a été fait pour la mettre en œuvre. Ordonnances et décrets d’application n’ont pas engagé la stratégie de sobriété qui s’impose. Plus encore les renouvelables n’ont pas connu le développement nécessaire pour satisfaire aux objectifs fixés par la Commission européenne.

La COP21 et le discours en faveur de l’atténuation du changement climatique n’ont finalement rien changé. Derrière les effets de manche et la communication sur l’enjeu climatique, la transition énergétique est restée au point mort dans l’indifférence quasi générale d’une opinion publique focalisé sur la question sociale.

Il n’a pas été difficile pour l’Etat en 2019 d’annoncer une pause. Puisque le changement requis par la loi n’a pas été possible, " il convenait de revenir à des objectifs plus réalistes". C’est ainsi qu’à bas bruit le nucléaire est de nouveau en grâce au plus haut sommet de l'Etat sans susciter l’indignation que l’on pouvait attendre. Ce fut d’abord le report de l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans le mixe énergétique, puis la résolution a finalisé coûte que coûte le projet Cigéo.

Le premier quinquennat d’Emmanuel Macron aura été celui du grand renoncement alors que la victoire de 2017 n’a été possible sans le soutien du courant réaliste de la galaxie écologiste. La présence à Roquelaure de Nicolas Hulot, François de Rugy puis Barbara Pompili n’y ont rien changé. C’est bien loin du Boulevard Saint-Germain que les arbitrages ont été pris foulant aux pieds la nécessité de changer de modèle énergétique dans un pays où chacun est attaché à son petit confort, où quelques intérêts économiques et autres groupes d’influence conservent une influence déterminante et où les gilets jaunes sont venus brisés vingt années de construction d’une réelle politique énergétique.

Il ne fallait plus que les oppositions soi-disant de gôche passent le pas et renoncent aux objectifs de la veille pour que tout parte en sucette. On ne taxera donc pas le carbone, on n’invitera pas le plus grand nombre à mettre en œuvre la sobriété qui s’impose mais on laissera croire que l’on pourrait faire face au changement climatique sans profondément changer nos comportements ni transormation technique de grande ampleur.

Toutes les conditions étaient réunies pour que la présidence Macron enfourche le destrier atomique. Quelle autre option s’offrait à la France pour faire face à la crise climatique dans un environnement internationale pour le moins troublé ? Face à un défi immense, d’aucuns ont fait le choix de la solution la plus précaire et la plus dérisoire.

Et c’est donc sans surprise que le candidat président peut annoncer en février 2019 que la France opérera un grand bond en arrière pour s’inscrire sur la voie ouverte par la commission PEON au tournant des années 60 et 70. Le drame est que bien peu s’en indignèrent, l’opposition au nucléaire étant devenu un complément d’âme sans donner lieu à une quelconque pratique.

Il faut dire que l’opinion publique a considérablement évolué depuis la catastrophe de Fukushima. Ce n’est plus tant le nucléaire qui indigne le plus grand nombre mais les énergies renouvelables parées de tous les défauts. Au sein même du mouvement écologiste une considérable mutation a eu lieu. Si 10 ans auparavant la question atomique mobilisait encore, plus grand monde s’en préoccupe au-delà d’un petit cercle d’initiés. Au prétexte de favoriser les alternatives citoyennes, beaucoup délaissent la lutte antinucléaire. Mais surtout les nouvelles radicalités s’en écartent sensiblement au point de préférer dénoncer des projets d’énergie renouvelables que de contribuer à la lutte antinucléaire.

Jean-Marc Jancovici a gagné dans les esprits. Ce n’est pas tant la production atomique le problème mais les usages et les modes de consommation de l’énergie qui justifient de se mobiliser et d’agir. Et si l’on doit conserver une part de nucléaire pour faire face au changement climatique, ce n’est pas si grave… Cette filière pose moins de problèmes que quelques vieux grincheux le disent alors qu’elle constitue un atout extraordinaire pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. C’est bien un nouveau paradigme qui s’est imposé à grand coup de fresque du climat et autres démarches présentant comme ringarde l’opposition au nucléaire.

Comment s’étonner dès lors que le pouvoir se sente pousser des ailes et remettent sur la table un ensemble de propositions et d’orientations qui avaient été écartées depuis le début des années 1990 ?

Ne suffisait plus qu’à ajouter à cette dérive culturelle une explosion des prix pour que beaucoup en arrivent à admettre qu’il fallait bien trouver une solution pour garantir le droit à consommer sans limite sur une planère finie. La Covid puis la guerre d’Ukraine enfoncèrent le clou. L’Etat volera donc au secours de la multitude en présentant non pas une solution efficiente mais une solution qui rassure. Une solution qui laisse penser qu’il maitrise la situation et qu’il est en capacité de répondre aux inquiétudes de chacun.

" Oui vous pourrez continuer à vous chauffer à des températures fantaisistes, à vous déplacer n’importe comment, à bénéficier de produits industriels inutiles sous les coups constants d’une publicité invasives. Vous le pourrez grâce au nucléaire !"

Emmanuel Macron a ainsi bien entendu la leçon de Négawatt. C’est bien des usages et des besoins qu’il part pour fonder sa politique énergétique et en construire l’acceptabilité. On recourra donc à une production massive, centralisée, contrôlée par l’Etat plutôt qu’à s’en remettre à des acteurs fragiles et à des technologies qui n’éveillent que le soupçon. Peu importe si c’est une absurdité technique et que cela coutera un pognon de dingue. L’important est de donner à voir que l’on gouverne, que l’on maitrise et que l’on agit. L’urgence est de répondre à la psychose énergétique et non pas de construire un système robuste, sobre et efficient…

La France aura donc une relance du nucléaire. Une relance massive qui n’oublie aucun paramètre. Les vieux réacteurs à bout de souffle seront rincés jusqu’au bout. De nouvelles installations de puissance seront construites même si personne ne peut vraiment dire comment elles seront financées. On ouvrira la voix à des solutions techniques pas si nouvelles pour décarboner l’industrie et les territoires. Et surtout on fera tout pour museler ces emmerdeurs qui brident depuis des années le développement du nucléaire et gênent son exploitation.

En 2022, un débat public est organisé pour présenter la relance du nucléaire autour de 6, 8 puis 14 nouveaux réacteurs EPR2. Sans attendre ses conclusions, le gouvernement annonce que son choix est fait. Au printemps 2023 une première loi vient casser le droit de l’environnement au prétexte d’accélérer le nucléaire. A l’automne non seulement une stratégie énergie-climat centrée sur le nucléaire est présentée mais le gouvernement annonce une détonante réforme du contrôle des installations qui répond surtout aux demandes des exploitants. Et cerise sur le gâteau, la loi de programmation qui devait être présentée en juillet est révélée fort discrètement aux premières heures de 2024 :

Le texte proposé au Conseil national de la transition écologique (CNTE) plus que tout autre proposition de l'ère Macron marque une rupture majeure avec la construction d'une politique énergétique moderne depuis 30 ans. C'est Une fois encore Arnaud Gossement sur son blog qui présente le mieux le parti pris, les choix et les fragilités de ce texte anachronique.

Ce serait presque passé inaperçu si la Ministre n'avait pas fait le choix de présenter dans la presse économique ces orientations :

" Il s'agit de sortir la France de sa dépendance aux énergies fossiles, qui représentent plus de 60 % de l'énergie que nous consommons. Mon ambition est d'abaisser ce chiffre à 40 % en 2035. Pour réduire nos émissions de CO2 et protéger le pouvoir d'achat des Français, mais aussi pour gagner en souveraineté. L'invasion de l'Ukraine nous a rappelé à quel point il était important de se protéger des aléas géopolitiques, alors que l'énergie est devenue une arme de guerre. Le texte fixe ainsi des objectifs ambitieux de déploiement des moyens de production décarbonés (nucléaires et renouvelables). Il rompt avec la précédente loi de programmation, qui réduisait à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique d'ici à 2025 [date portée à 2035 en 2019]."

La proposition portée par le Sénat à l'occasion de l'examen de la loi dite d'accélération du nucléaire est reprise par le gouvernement quelques mois après. Elle se trouve même renforcée. En effet le seuil des 63.2 GWe introduits par les pronucléaires dans la loi de transition de 2015 change complétement de nature. D'un plafond le gouvernement fait un plancher... Mais ce ne s'arrête pas là. Alors que la réforme de la gouvernance de la sûreté nucléaire dont l'examen par le Sénat a commencé risque de porter un rude coup au contrôle et à lexpertise publiques, le projet de loi propose rien d'autre que de limiter les capacités de l'Autorité de sûreté à requérir une mise à l'arrêt définitif d'une installation nucléaire sans lui permettre de s'exprimer sur l'opportunité de construire 14 EPR2 :

« III.- Afin de préparer l’avenir du mix énergétique en vue de la neutralité carbone en 2050 et de la sécurité d’approvisionnement, la programmation énergétique anticipant la fin d’exploitation des réacteurs existants et en complémentarité des énergies renouvelables fixe le programme industriel suivant :

« 1° Maintenir en fonctionnement toutes les installations de production d’électricité d’origine nucléaire sous réserve des dispositions relatives à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement ;

« 2° Construire de nouveaux réacteurs nucléaires, avec l'objectif qu'au moins 9,9 GWe de nouvelles capacités soient engagées d’ici 2026 et que des constructions supplémentaires représentant 13 GW soient engagées au-delà de cette échéance ;

« 3° Maintenir en fonctionnement les installations contribuant au retraitement et à la valorisation des combustibles usés, sous réserve des dispositions relatives à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement ;

« 4° Assurer la disponibilité des installations nécessaires à la mise en œuvre du retraitement et de la valorisation des combustibles usés, dans le respect des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'environnement, et définir les modalités d'organisation et de financement adaptées pour favoriser la gestion durable des substances radioactives, la sécurité d'approvisionnement et la maîtrise des coûts ; »

Voilà très concretement ce que le gouverneme nomme dans l'exposé des motifs " préparer notre avenir énergétique" :

« Afin de préparer notre avenir énergétique jusqu’à la neutralité en 2050, il inscrit également la programmation de long terme de la filière nucléaire dans l’ensemble de ses composantes : construction des nouveaux réacteurs du programme EPR2, préparation du palier suivant, sécurisation de l’approvisionnement en combustible et de nos moyens de retraitement et valorisation du combustible usé, dans l’esprit d’une orientation pérenne de convergence vers la fermeture du cycle.

Personne ne peut dire si cela prépare quoi que ce soit si ce n'est que notre territoire, le plus densément nucléarisé au monde, est exposé à un surcroit de risques difficilement acceptables après la tempête Ciaran qui a nettement impacté les CNPE du littoral de la Manche.

On est bien en présence d'une fuite en avant qui va bien au-delà des éléments présentés dans la SFEC il y a quelques semaines. Pas étonnant que les réactions n'aient tardé. Libération et Le Monde ont fait valoir limites et autres incertitudes qui entachent l'orientation portée haut et fort par la Ministre. Mais c'est Négawatt sur l'antenne de France info qui porte les coups les plus rudes :

« Le texte "rompt avec la précédente loi de programmation, qui réduisait à 50% la part du nucléaire dans le mix électrique d'ici à 2025", a précisé Agnès Pannier-Runacher dans son entretien. Yves Marignac estime que "le gouvernement fait l'inverse de ce qu’il promeut, il se reconcentre sur le nucléaire en oubliant aujourd'hui de plus en plus le reste", à savoir les énergies renouvelables. "Le risque aujourd'hui c'est que, emporté par son élan, une hubris sur le nucléaire, le gouvernement oublie les piliers fondamentaux sur la transition énergétique, alors même que les réacteurs dont parle la ministre pour les six premiers EPR ne verront pas le jour avant 2035/2040", note le porte-parole de négaWatt. »

La notion même d'énergies renouvelables disparaît pour laisser place à un grand tout atomique, l'énergie décarbonnée. Les technologies alternatives sont réduites tout au plus au statut d'appoint visant à faire face aux pointes de consommation, rôle jusque-là concédé aux instalaltions thermiques. Il n'est donc plus question de transition énergétique au sens de ce qui avait été envisagé à l'issue du débat national sur la transition énergétique mais d'une électrification à outrance du mix énergétique impliquant une efficacité de la production nucléaire qui n'es plus d'actualité depuis longtemps :

« 2° En matière d’électricité, la programmation énergétique conforte le choix durable du recours à l’énergie nucléaire en tant que scénario d’approvisionnement compétitif et décarboné. Pour la production électronucléaire, sous réserve des dispositions relatives à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement, elle vise à maintenir une puissance installée d’au moins 63 GW et une disponibilité d’au moins 66%, avec l’objectif d’atteindre une disponibilité de 75% à partir de 2030, assurant un socle de sécurité d’approvisionnement jusqu’en 2035 ;

Ce ne sont pas 6 mais 14 EPR2 qui au final sont proposés. Peu importe si cela relève d'un mirage. Peu importe si cela au mieux entrainera un gonflement conséquent des factures d'électricité. Peu importe si les capacités industrielles existent pour réaliser ce programme pharaonique. Peu importe si les grands acteurs économiques sont au mieux dubitatifs. On est là en présence d'un pur exercice de communication politique qui apporte une réponse concrète à une demande sociale absurde et surtout satisfait des clientèles politiques avides de développement économique et de croissance.

En effet les promesses n'impliquent que ceux qui les croient. Pour autant cela fait très longtemps que nous n'avions pas vu déferler autant d'effets d'annonces aussi farfelues. L'Etat promet beaucoup sans maitriser l'ensemble des éléments qui permettraient de concrétiser ses annonces. Bien au contraire la réalité effective rappelle que le nucléaire n'est pas au mieux de sa forme. A Hinkley Point, les choses vont de mal en pis non sans menacer les finances d'EDF. Non seulement les Chinois lassés se sont rretirés du projet mais ce dernier n'avance guère faisant face comme Flamanville à un nombre toujours croissant de déconvenues.

Faudrait-il peut-être résoudre les problèmes d'ahourd'hui avant de se lancer dans une aventure pour le moins difficile ?

Mais pour cela il conviendrait de ne pas casser les outils dont nous disposons pour faire face au risque nucléaire. Ils ne sont certes pas parfait mais au moins ils fonctionnent et nous ont permis jusque-là d'éviter un accident majeur. tel est l'autre combat du moment alors que les sénateurs sont appelés à s'exprimer sur le projet délirant de fusion ASN-IRSN.

Il conviendrait surtout que les politiques arrêtent de laisser croire que des solutions miracles existent et surtout qu'ils montent en compétence pour faire face aux promesses fragiles de la filière nucléaire qui ne cherchent qu'à persévérer dans son être coûte que coûte. Cela concerne non seulement le camp présidentiel mais aussi les oppositions de gôche qui depuis bien trop longtemps ont délaissé la question atomique...