Le gouvernement atomise la planification écologique

Le gouvernement réunit aujourd’hui les dirigeants des partis politiques pour présenter les principes de sa planification écologique. Une publication du ministère de la transition énergétique circule depuis quelques jours sur une partie non négligeable de cette planification, la stratégie nationale bas carbone. Si ce document se place dans la continuité des précédents institués par la loi de transition énergétique, il met à l’honneur un recours élargi à l’énergie atomique. Curieuse manière d’opérer la transition énergétique….

Guillaume Blavette

9/18/20239 min read

Ca fait longtemps que le gouvernement nous parle de planification écologique. L'été dernier, il a présenté des objectifs pour le moins productivistes. Non seulement ce fut une manière de dissimuler tout ce qui n'a pas été fait jusqu'à présent mais surtout l'occasion une orientation des plus prudentes en deça de l'urgence à laquelle nous faisons face.

Si l'on s'interresse en particulier au volet énergétique, il apparaît clairement que le gouverment dans la continuité de ses prédecesseurs cherche moins à mettre en oeuvre la transition promise qu'à mener une politique industrielle conservatrice voire réactionnaire. En effet dans le document que nous publions ci dessous, tout donne à voir le souci en dernier recours de favoriser une renaissance du nucléaire aux dépends des alternatives nécesaires, à savoir la maitrise de la demande et le déploiement massif des énergies renouvealbles électriques et thermiques.

Rien ne va dans ce document. Si la vaine tentative de relancer un nucléaire qui n'est pas si français apparaît comme un anachronisme majeur, la manière même dont la concertation a été menée laisse songeur. Bien peu de protecteurs de la nature et de l'environnement ont pu y participer alors que les différentes officines largement acquises à l'atome y étaient nombreuses. Et comme on pouvait s'y attendre, c'est bien à une profession de foi nucléaire à laquelle nous avons affaire :

Le nucléaire n'est pas un simple sujet de crispation. C'est au mieux la pire des possibilités pour réaliser la transition écologique qui s'impose à la lumière du débat public qui s'est tenu l'hiver dernier. A la fois trop cher, trop lent et difficile à mettre en oeuvre et surtout trop dangereux, le nucléaire ne peut apparaître comme une stratégie efficiente pour la France surtout au vu de notre incapacité collective à respecter les Accords de Paris sur le Climat.

Et pourtant le gouvernement persévère dans sa lancée. Après une loi d'accélaration du nucléaire, qui vise à renforcer les privilèges de cette industrie non sans la soulager des quelques limites dont elle pouvait être l'objet, et de multiples tentatives pour fragiliser le contrôle et l'expertise publiques, le gouvernement nous livre aujourd'hui un document qui laisse penser qu'un large consensus existe pour une relance de la filière nucléaire.

Rien n'est plus faux en attestent le récent appel de 1000 scientifiques contre uun nouveau programme nucléaire et la mobilisation en soutien à l'IRSN. Il n'existe pas et n'a jamais existé en France de soutien massif à l'atome n'en déplaise à quelques officines qui ne ménagent pas leurs efforts en faveur d'une renucléarisation de la France.

Mais le plus choquant n'est pas tant que certain(e)s croient en l'atome. C'est la parole de l'Etat qui jette un voile sur tous les débats qui portent sur la production électronucléaire et ses conséquences. Tout au plus p. 14 nous pouvons lire qu'il serait envisagé de recourir à une " orientation pérenne de semi-fermeture du cycle du combustible" au vu des déboires et autres incertitudes qui existent tant à Marcoule qu'à La Hague. Pour le reste on pourrait croire que tout va bien au pays de l'atome et que toutes les condition sont réunies pour un nouvel élan. Ainsi p. 8 peut on voir l'objectif suivant :

" Restaurer une disponibilité des réacteurs existants cohérente avec les meilleurs standards internationaux et lancer des études sur l’augmentation de puissance pour certains réacteurs et sur la poursuite d’exploitation après 50 et 60 ans, afin de viser une production de 400 TWh par an (contre 280 TWh en 2022)."

A l'heure où la crise des corrosions sous contrainte bat son plein et que celles des pièces moulées se dessine à l'horizon, il faut une dose de mauvaise foi pour prétendre que dans des délais raisonnables la production nucléaire puisse renouer avec une production massive, continue et prévisible. Les faits parlent d'eux-mêmes. Le taux de disponibilité d'un parc obsolète et vieillissant diminue au fil des années en dépit des efforts réalisés par l'exploitant et les salariés pour tenir à bout de bras des installations d'un autre temps.

Et quand le gouvernement parle d'augmentation de puissance, il y a de quoi frémir alors que la conduite en suivi de charge de plus en plus fréquente ne ménage pas les réacteurs. Non seulement le pari du Grand Carénage n'a pas été tenu bien au contraire mais la sûreté nucléaire comme l'aval du cycle du combustible sont à la peine. Et ce n'est pas la dissolution de l'IRSN dans une nouvelle entité qui changera la donne. La nécessité impose plutôt de ménager les machines dans le cadre d'une stratégie de mise à l'arrêt progressive concertée qui permette de concentrer moyens et équipes sur les installations les moins dégradées.

" Maximiser le productible nucléaire décarboné en restaurant une disponibilité des réacteurs aux meilleurs standards et en lançant des études, d’une part, sur l’augmentation de puissance pour certains réacteurs tout en garantissant la sûreté et sur la poursuite d’exploitation après 50 et 60 ans." p. 13

La prolongation de l'exploitation n'est guère plus rassurante. Porter la durée de fonctionnement au-delà de 40 ans relève du pari de l'aveu même des présidents successifs de l'Autorité de contrôle. L'étendre au-delà de 50 est pire encore alors que l'exemple des Etats-Unis donne à voir clairement le retrait inéluctable des réacteurs les plus anciens quelle que soit la réglementation en vigueur. Les réacteurs nucléaires sont des installations très sensibles qui n'ont jamais été conçues pour l'éternité mais pour une durée précise en fonction des meilleures techniques disponibles lors de la création. Dénier cette réalité industrille n'est ni honnête ni sincère surtout au vu des connaissances actuelles.

Le gouvernment ne le nie pas complétement. Il le reconnaît même d'une certaine. Dans la continuité du pathétique discours de Blefort, il prétend ainsi favoriser un renouvelement du parc nucléaire avec la construction d'un grosse poignée d'EPR2, 6 voire 14 :

" Lancer un programme de 6 réacteurs EPR2 et être en capacité d’ici 2026 de prendre une décision sur la réalisation de 8 EPR2 supplémentaires." p. 8

La proposition est intéressante. Reste à savoir comment ils seront construits, où, par qui et sous quels délais. Loi d'accélération ou pas un certain nombre de rigité industrielle existe et laisse penser que la mise en service de ces machines n'est pas pour demain ni pour après-demain. On pourra encore subir quelques étés caniculaires avant de voir sortir le moindre kWh de modèles qui existent à peine sur le papier. Or chacun sait que nous n'avons plus le temps d'attendre alors que le démarrage de FLA3 n'est toujours à l'ordre du jour.

Même dans le cadre d'une stratégie d'électrification des usages, le recours à une production atomique élargie pose question. Et cela d'autant plus que le parc nucléaire ne permettra aucunement de garantir le passage des quelques 400 TWh produits aujourd'hui au 640 programmés pour 2035... et cela de l'aveu même de l'Etat :

" Prévoir un objectif industriel de production nucléaire à horizon 2030 de 400 TWh (y compris Flamanville 3), tout en retenant dans une hypothèse médiane de 360 TWh." p. 14

Tout au plus est prévu à l'échelle de la PPE un retour à l'âge d'or de la France atomique quand les réacteurs tournaient à plein. Quelle audace ! A croire que beaucoup n'ont pas confiance dans le parc et ses salariés...

Et c'est ainsi que l'on voit s'affirmer la résolution à favoriser un nouveau nucléaire. Non pas celui de papa avec ces macros réacteurs électrogènes qui déversent sur le territoire leurs kWh grâce au réseau de RTE, mais le micro nucléaire du futur qui permettra de triturer des atomes au coin de la rue, le nucléaire des SMR.

" Étre en capacité d’engager la construction d’une tête de série SMR en France à l’horizon de 2030 et d’engager la construction d’au moins un prototype de réacteur nucléaire avancé de quatrième génération à l’horizon 2030." p. 14

" Poursuivre les soutiens aux petits réacteurs avancés (AMR de 4e génération) pour décider sur l’engagement d’une construction d’ici la fin de la décennie." p. 17

N'en déplaise à mes amis d'EDF et d'Orano mais avec ça, c'en est fini du statut et autres RGE, STE, etc. On entrerait ainsi dans l'ère de l'atome néo-libéral qui ne rassure guère les Autorités de contrôle. On s'avance vers le grand n'importe quoi au prétexte de produire une énergéie décarbonnée. Non seulement ces machines ne sont à ce jour qu'à l'état de pré-projet mais elles apportent aucune réponse robuste en termes de sûreté, d'impacts et de gestion du combustible. On est tout au plus en présence de projets farfelus de quelques fameux bricoleurs qui font en amateur des bombes atomiques....

Reste un petit détail qui ne trompe pas. Manifestement il n'est pas si facile de financer une relance du nucléaire. Il en a déjà été question sur ce blog. Même aux Etats-Unis les projets de SMR ont bien du mal à sa faire financer. Alors imagnez ici !

" En fonction de l’avancement des travaux européens et nationaux prévoir le cadre de régulation du nucléaire post-Arenh ou en inscrire les principes fondamentaux et garantir un coût de financement des nouveaux réacteurs nucléaires compétitif afin de pérenniser l’accès de tous les consommateurs français à la compétitivité de l’outil de production électronucléaire national." p. 14

Tout ça est assez amusant. Alors que cela fait des mois que le gouvernement français fait des pieds et des mains à Bruxelles pour inscrire le nucléaire sur la liste des investissements verts, les choses semblent guère évoluer. Allemagne ou pas, il n'existe pas plus à Bruxelles qu'à Paris de majorité en faveur d'un recours massif à l'atome. Et cela pour des raisons strictement comptables... même si cela peut décevoir les défenseurs de l'environnement. La clef du problème en ces temps de crise énergétique est le prix du kWh. Prix que la France voudrait garantir pour financer le nucléaire alors que ses principaux interlocuteurs sont plus préoccupés par le financement d'une authentique transition énergétique.

Nous sommes en présence d'un gouvernement et d'industriels qui, faute de disposer des marges financières nécessaires, veulent changer les règles du jeu à l'échelle de l'Europe pour réaliser leur projet de nucléarisation. Non seulement une telle posture est pour le moins anachronique mais elle compromet l'atteinte des objectifs visés par la Stratégie bas-carbone. L'enjeu en France n'est pas tant de financer le nucléaire dont la production reste massive mais de trouver les leviers qui permettent d'atteindre des objectifs jamais atteints jusque-là.

Mais on se saurait pour autant oublier la dimension politique du problème. A l'échelle nationale, ce document donne à voir le peu de souci du gouvernement de réaliser une authentique planification en associant toutes les parties prenantes, en particuliers les associations de protection de la nature et de l'environnement qui aurait pu éviter quelques propositions pour le moins surréalistes :

" Soutenir le développement des autres usages du nucléaire que la production d’électricité (chaleur, hydrogène, cogénéra tion, carburants de synthèse, désalement)." p. 17

Le document établi par le Ministère de la transition écologique relève plus de la programmation autoritaire que d'une large concertation réalisée à toutes les échelles pour associer le plus grand nombre d'acteurs et de parties prenantes. Cela est d'autant plus étonant qu'il y a quelques mois s'est tenue une concertation nationale sur le mixe énergétique. Dans les territoires le nucléaire n'a jamais été la première préoccupation qui s'est exprimée. Bien au contraire, il a été très nettement évincé par des considérations concrètes et immédiates en ces temps de crise énergétique. Le problème de la plupart des acteurs n'était en aucun cas de relancer une filière industrielle très localisée mais de faire face au changement climatique en répondant aux attentes des usagers. Les renouvealbles ont été plébiscitées alors que le plus grand nombre attendait des mesures fortes en faveur de l'isolation du bâti et de la maitrise de la consommation. Dans l'esprit de beaucoup l'heure n'est pas à produire plus mais à consommer mieux.

Malheureusement cette dynamique ne semble pas être remontée jusqu'à Paris où prévalent encore les mêmes croyances et les mêmes jeux d'intérêts. Beaucoup attendent encore que des discussions généralisées et pluralistes reprennent sur le modèle de ce qui s'était fait lors du Débat national sur la transition énergétique. Un autre avenir énergétique existe. Il faut espérer que les Comités régionaux de l'énergie en cours d'installation seront le lieu pour qu'il de dessine face à un Etat central qui regarde un peu trop vers le passé et veut plaquer aux problèmes d'aujourd'hui des solutions d'hier.

En tout cas, il semblerait que le gouvernement ne soit pas si à l'aise que ça. La Loi de programmation promise par Mme Borne à l'occasion de son discours d'investiture n'est toujours pas à l'ordre du jour. Si certaines tensions au sein même du gouvernement peuvent expliquer ces nombreux reports. On ne saurait réduire le problème à quelques divergences entre ministres. Au final c'est l'argent qui manque et surtout un plan de financement robuste qui ne pèse exclusivement sur les usagers.

Il est encore temps que le gouvernement revoit sa copie pour une authentique adaptation de notre modèle énergétique au changement climatique et à la crise économique