EPR2 : Des fragilités techniques non négligeables

L'EPR2 est une simplification de l'EPR dont le développement est principalement justifié par la recherche du moindre coût et de délais de construction moins important. Ce faisant le maitre d'ouvrage a créé d'autres problèmes qui viennent s'ajouter aux fragilités déjà conséquentes du plan initial

Guillaume Blavette

6/25/202224 min read

Face aux innombrables déboires rencontrés à Flamanville comme à Olkiluoto, dès 2014, EDF a envisagé de modifier la conception de l’EPR dans le souci de construire plus rapidement et à moindre coût des réacteurs nécessaires au renouvellement du parc nucléaire. « L’EPR NM (nouveau modèle), qui aura une puissance équivalente mais qui ne coûtera plus que 5 milliards d’euros. Le but ? « Trouver les options qui nous font gagner des coûts sans trop nous éloigner de l’EPR, » a expliqué mercredi 16 novembre Xavier Ursat, directeur ingénierie et nouveau nucléaire chez EDF. »

5 milliards d’euros : C’est le montant auquel EDF veut emmener la construction de l’EPR NM, a expliqué lors d’une conférence de presse mercredi Xavier Ursat, directeur ingénierie et nouveau nucléaire chez EDF. Pour cela l’énergéticien s’appuiera sur les améliorations de conception de l’EPR NM mais aussi sur le retour d’expériences de la construction de l’actuel EPR, et la standardisation des matériels. Le but ? « Avec ce coût d’investissement, nous serons moins cher que les autres énergies renouvelables. Notre but est que l’électricité soit moins chère en euros/ kWh que la moins chère des énergies renouvelables produite dans la même région, » a précisé Xavier Ursat.

1650 MWe : Avec leurs 1650 et 1750 MWélectriques, les EPR actuellement en fin de construction à Flamanville (mise en fonctionnement prévue pour fin 2018) et à Taïshan (mise en fonctionnement prévue pour 2017) seront les deux plus grosses centrales de production d’électricité dans le monde ! L’EPR NM aura une puissance équivalente et exactement la même chaine de production d’électricité, depuis le réacteur jusqu’au réseau, en passant par la turbine de production. Il pourra pourtant produire de l’électricité moins chère essentiellement grâce aux économies réalisées sur la construction des bâtiments.

2030 : C’est la date à laquelle EDF veut mettre en service les deux premiers EPR NM, sans pour autant qu’il n’ait précisé où.

40 : 40, c’est le nombre de réacteurs que prévoit Xavier Ursat pour remplacer les 58 unités que compte le parc français existant. Les réacteurs de deuxième génération actuellement en fonctionnement ont en effet une puissance unitaire inférieure, comprise entre 880 MWe et 1 500 MWe.

6 ans : C’est le temps de construction maximal que prévoit EDF pour l’EPR NM, évidemment bien inférieur au temps de construction de l’EPR de Flamanville 3 (11 ans) ou d’Olkiluoto, en Finlande (15 ans). C’est aussi le temps, d’ailleurs, que prévoit EDF pour la construction des réacteurs EPR d’Hinkley Point. Pour gagner en temps de construction, des bâtiments liés au réacteur pourront être volontairement plus gros afin de mener plusieurs opérations en même temps ! EDF innove aussi dans sa méthodologie de travail avec l’ASN (autorité de sûreté nucléaire), l'agence française chargée de valider et certifier les choix d'EDF. Afin d’éviter les allers-retours inutiles et chronophages, EDF et l’ASN travaillent directement ensemble sur la conception de l’EPR NM.

L'objectif visé est clair : réduire le coût de production à moins de 70 euros2012 par MWh pour rester dans la course face à l'essor des renouvelables. Sauf que cela induit des choix techniques pour le moins audacieux afin de concilier l’inconciliable, à savoir la sûreté et le moindre coût…

Ainsi le débat a été très vif dès le début du projet au sein d'EDF et d'Areva. La « revue stratégique du projet EPR NM » demandée par Jean-Bernard Lévy à Yves Bréchet, haut-commissaire à l'Energie atomique, et quelques historiques du secteur (Dominique Vignon, Laurent Stricker...) n’a pas validé les options proposées par l’avenue de Wagram. Une fois de plus les experts de la filière nucléaire se sont montrés pour le moins réservés tant sur les choix techniques que sur le calendrier de l'EPR NM, préconisant d'explorer l'option d'un « EPR 2.0 » (ou EPR 2), une version plus proche du design actuel de l'EPR .

« Ces EPR2 seront en fait des améliorations de l'actuel EPR de Flamanville. Pour abaisser le coût des réacteurs de nouvelle génération, EDF a imaginé deux types de nouveaux réacteurs pressurisés : l'EPR-NM (pour nouveau modèle) qui devait fournir une puissance thermique supérieure à celui de Flamanville et l'EPR2 qui reprend la même conception que le réacteur de la Manche et offre un niveau de puissance comparable. C'est ce dernier qui a eu les faveurs de l'Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) . »

Le modèle EPR2 est ainsi une évolution de l’EPR, qui vise le même niveau de sûreté et intègre le retour d’expérience de construction du modèle EPR. Il est conçu pour être intégré dans un système électrique à forte composante énergies renouvelables (manœuvrabilité). L’un des principaux enjeux d’EPR2 est d’améliorer la constructibilité de l’EPR, dès la conception, afin de le rendre plus compétitif.

Pour abaisser les coûts, l'EPR2 est censé être plus simple à construire et plus standardisé, bénéficiant d'un effet de série (construction par paires) et de préfabrications en usine ou modularisation. C'est aussi le premier réacteur à être totalement conçu de façon numérisée, avec simulation 4D et visualisation 3D pour mieux détecter les anomalies, souligne EDF.

Toujours est-il que la conception du projet de réacteur EPR NM est en grande partie fondée sur celle du réacteur EPR de Flamanville. EDF a souhaité néanmoins apporter des évolutions significatives pour simplifier la conception et la construction de l’installation, comme le recours à une enceinte à simple paroi, la suppression du bâtiment des auxiliaires nucléaires ou la suppression de la possibilité de réaliser des opérations de maintenance dans le bâtiment du réacteur pendant son exploitation en puissance, ce qui obligera l’exploitant à les réaliser pendant les phases d’arrêt du réacteur. Par ailleurs, EDF a fait évoluer l’architecture des systèmes supports. En particulier, EDF prévoit une source froide diversifiée et indépendante de la source froide principale, d’une technologie différente de celle retenue pour le réacteur EPR de Flamanville. De plus, des systèmes de sauvegarde et supports sont dédiés aux accidents avec fusion du cœur.

« L’ASN considère qu’il aurait été souhaitable que la prise en compte du retour d’expérience conduise à réinterroger plus largement la conception, par exemple pour réduire les risques de bipasse du confinement inhérents à la conception de certains systèmes de sûreté ou encore pour rendre plus robuste la conception de systèmes participant à la gestion à long terme des accidents avec fusion du cœur.

L’ASN souligne, en outre, que des échanges approfondis entre EDF et l’ASN seront nécessaires sur la simplification de la conduite en fonctionnement normal et accidentel. »

En février 2021 EDF a transmis à l’ASN le rapport préliminaire de sûreté sensé répondre aux réserves formulées en 2019 par l’IRSN et l’ASN. La procédure d’autorisation suit son court répondant à l’injonction de l’Etat suite aux déclarations du président de la République le 10 février 2022 à Belfort . « Emmanuel Macron a annoncé, jeudi 10 février, la construction de six réacteurs nucléaires de type EPR 2 d’ici à 2050, avec une mise en service du premier réacteur vers 2035. Il a, en outre, envisagé la perspective de huit EPR2 supplémentaires, un projet qui fera l’objet d’études . »

Pour autant les incertitudes demeurent et elles ne sont pas minces. De la puissance du réacteur jusqu’au choix d’une simple enceinte en passant par des inquiétudes sur le circuit primaire que le dernier avis sur les exclusions de rupture n’a pas levées, toute une série d’éléments laissent penser que l’EPR2 n’est pas plus réalisable et opérationnel que son prédécesseur.

Une architecture pas si nouvelle

En janvier 2018, l’IRSN a présenté devant le Groupe permanent d’experts pour les réacteurs nucléaires, les conclusions de son expertise relative aux options de sûreté du réacteur de 3e génération EPR Nouveau Modèle (EPR NM). L’IRSN a estimé que les choix de conception retenus par EDF sont de nature à garantir un niveau de sûreté pour l’EPR NM au moins équivalent à celui de l’EPR de Flamanville (Manche). Depuis, EDF a proposé des évolutions de certains choix de conception qui seront prises en compte pour la conception du réacteur, maintenant nommé EPR 2 .

Les principales évolutions retenues par EDF pour le projet EPR NM par rapport au réacteur EPR FA3 sont les suivantes :

1. Augmentation de la puissance du cœur (1750 MWe - 4850 MWth) ;

2. Évolution de la conception des assemblages combustibles ;

3. Utilisation de grappes de commande « noires » pour le contrôle du cœur ;

4. Évolution de l’instrumentation dédiée à la protection et à la surveillance du cœur ;

5. Passage de quatre trains pour les systèmes de sauvegarde (injection de sécurité, alimentation de secours des générateurs de vapeur…) à trois trains ;

6. Amélioration des systèmes supports à la réalisation des fonctions de sûreté (renforcement de la diversification de la source froide, amélioration des sources électriques, des systèmes de ventilation et de conditionnement thermique des locaux…) ;

7. Passage à une simple enceinte de confinement avec liner du bâtiment du réacteur (BR) ;

8. Simplification de la conception du récupérateur de corium, avec notamment la réduction de la surface d’étalement du corium ;

9. Suppression du concept « two-room » (pas d’accès au bâtiment du réacteur en fonctionnement) ;

10. Suppression du bâtiment des auxiliaires nucléaires (BAN).

Pour autant le souci d’économie de l’énergéticien l’a amené à faire quelques choix surprenants qui ont attiré l’attention de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire :

« L’IRSN note par ailleurs que, au stade de la conception, EDF prend en compte les systèmes supports dans l’application de la défense en profondeur et vise à renforcer l’indépendance entre les niveaux 3 et 4, ce qui est satisfaisant. Pour les cas dans lesquels une indépendance stricte entre les niveaux 3 et 4 ne peut pas être démontrée, une analyse au cas par cas sera nécessaire afin de s’assurer de l’atteinte d’une indépendance « autant que raisonnablement possible ». Sur ce point, l’IRSN souligne que la conception des vannes de dépressurisation du circuit primaire de l’EPR NM conduit à ouvrir les deux lignes de dépressurisation du circuit primaire pour remplir la fonction de « gavé-ouvert » relevant du niveau 3 de la défense en profondeur, de manière à disposer d’un délai d’action de l’opérateur suffisant, alors que l’ouverture d’une ligne est requise au titre du niveau 4 de la défense en profondeur. Pour l’IRSN, ceci remet en cause l’indépendance entre les niveaux 3 et 4 de la défense en profondeur sans qu’aucune justification ne soit apportée à ce stade du projet. »

Voilà bien un élément déterminant qui laisse à penser que nous sommes bien en présence d’un réacteur low cost où les marges de sûreté sont réduites à ce qui est économiquement acceptable. D’autres indices confirment malheureusement cette impression générale si l’on lit attentivement l’avis de l’IRSN :

« Les exigences associées aux dispositions nécessaires à la prévention des situations « pratiquement éliminées » feront l’objet d’une attention particulière de l’IRSN qui sera vigilant à ce qu’un nombre suffisant de lignes de défense reste assuré en cas d’agressions externes extrêmes. »

Une fois encore EDF joue avec le principe d’exclusion afin d’éliminer certains risques dont la reconnaissance entrainerait immanquablement des « surcouts ». C’est le cas en particulier du refus de reconnaître la possibilité d’une fusion du cœur en transitoire de stade 3 à Flamanville comme pour l’EPR2. Refus que déplore l’IRSN sans manifestement disposer de l’autorité suffisante pour amener l’exploitant nucléaire à justifier sa position, voire à la corriger s’il apparaissait que cette possibilité de fusion ne serait-ce que partielle ne pourrait être écartée… 

Une augmentation de puissance préoccupante

Comme l’a mis en évidence Bernard Laponche dans un article fameux publié par le Journal de l’énergie en 2021, la conception de l’EPR2 s’inscrit dans une course à la puissance propre à la filière nucléaire française . On est en effet passé en 50 ans de réacteurs de 900 MWe électrique construits sur le modèle classique Westinghouse à des réacteurs de 1.300 MWe, puis 1.450 MWe, à l’EPR de 1.600 MWe et aujourd’hui à l’EPR2 qui prétendait atteindre près de 1.800 MWe… projet heureusement abandonné nous l’avons vu.

« 3.1 A propos des projets de réacteur EPR NM (Nouveau modèle) ou EPR 2 d’EDF

Dans l’Annexe 1 à l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) relatif au dossier d’options de sûreté présent par EDF pour le projet de réacteur EPR nouveau modèle (EPR NM) et à son évolution de configuration EPR2, on lit :

« 1. Puissance du réacteur

La puissance thermique nominale du projet de réacteur EPR NM est de 4850 MW (de puissance thermique), soit environ 1750 MW (de puissance électrique). Compte tenu de l’augmentation de puissance par rapport au réacteur EPR de Flamanville, certaines évolutions doivent être apportées à la conception. C’est en particulier le cas des gros composants, comme les générateurs de vapeur dont le volume doit être augmenté.

Le retour d’expérience du réacteur EPR de Flamanville montre les difficultés liées à la conception et à la fabrication des gros composants des circuits primaire et secondaires principaux. L’augmentation de la taille de ces composants nécessiterait le développement de nouveaux procédés de fabrication, dont la maîtrise n’est à ce jour pas démontrée.

Par ailleurs, l’ASN considère que certaines des modifications de la conception nécessaires à l’augmentation de la puissance du cœur du réacteur sont de nature à réduire les marges de sûreté. L’ASN n’est donc pas favorable à une telle augmentation de puissance ».

L’augmentation de puissance de 1650 MW pour l’EPR à 1750 MW pour l’EPR NM ou l’EPR 2 était décidée par EDF dans l’espoir de réduire le coût d’investissement par MW.

L’avis de l’ASN sera respecté par EDF et la puissance du projet EPR 2 ramenée à 1650 MW.

3.2 Déclarations de l’ASN

Plusieurs publications ont fait état d’une déclaration du président de l’ASN, Bernard Doroszczuk, lors d’une audition au Sénat ou à l’OPECST :

« En Chine, un certain nombre d’anomalies ont été relevées sur la distribution de la puissance dans le cœur » (des deux réacteurs EPR de Taishan qui ont démarré en 2019 et 2020).

Cette phrase assez sibylline est complétée par des citations de l’ASN dans un article d’Hervé Liffan du Canard enchaîné du 30 juin 2021 :

– « La puissance est un peu plus importante au centre du cœur que ce qui était prévu » et,

– « Le problème est surtout que les outils (informatiques et mathématiques) utilisés pour calculer la distribution de puissance se sont révélés pas tout à fait adaptés ».

Ces outils et méthodes de calcul sont ceux de la filiale d’EDF, Framatome, et sont certainement les mêmes pour tous les EPR, les deux réacteurs de Taïshan étant jusqu’ici les seuls sur lesquels ces « défaillances » ont pu être constatées puisque ni celui de Finlande, ni celui de France, n’ont encore démarré (et encore moins ceux d’Hinkley Point au Royaume-Uni).

Très vraisemblablement, ces outils sont les mêmes, au moins dans leur principe, que ceux qui ont été utilisés pour calculer le fonctionnement des réacteurs des filières précédentes, pour lesquelles un tel phénomène n’a pas été constaté.

Y aurait-il une limite à l’application de ces outils, en termes de puissance et de taille, au réacteur EPR ? »

Tout irait pour le mieux dans le meilleur du monde si cette course au gigantisme était maîtrisée. Or rien n’est moins sûre. Des événements significatifs survenus sur les N4 puis à Olkiluoto et surtout l’incident majeur qui a eu lieu à Taishan en juin 2021 comme l’explique Thierry Gadault donnent à voir que l’augmentation de puissance génère des problèmes inattendus qui menacent tant la fiabilité que la sûreté des installations.

Il n’est guère surprenant dès lors que l’Autorité de contrôle ait émis des réserves voilées sur le dossier d’option de sûreté communiqué par EDF en juillet 2019 :

« L’avis de l’ASN identifie les sujets à approfondir en vue d’une éventuelle demande d’autorisation de création d’un réacteur. Des justifications complémentaires sont en particulier attendues sur la démarche d’exclusion de rupture des tuyauteries primaires et secondaires principales, la démarche de prise en compte des agressions, notamment l’incendie et l’explosion, et les choix de conception de certains systèmes de sûreté. EDF devra ainsi préciser, dans une éventuelle demande d’autorisation de création d’un réacteur, les études et les justifications complémentaires apportées en réponse à cet avis, ainsi que les modifications des options de sûreté qui en résulteraient. »

Il aura fallu deux ans pour que l’exploitant nucléaire réponde aux attentes de l’Autorité de contrôle . Mais cette fragilité du nouveau type de réacteur est loin d’être la seule. La documentation communiquée par l’ASN en mai 20019 à l’occasion de la consultation du public sur le Projet d’avis de l’ASN relatif au dossier d’options de sûreté présenté par EDF pour le projet de réacteur EPR nouveau modèle (EPR NM) et à son évolution de configuration EPR 2 donne à voir quelques autres soucis …

L’enceinte

En termes de génie civil, la conception de l’îlot nucléaire est monolithique : ses cinq bâtiments (bâtiment du réacteur (BR), bâtiment du combustible (BK) et bâtiments des auxiliaires de sauvegarde (BAS 1 à 3)) sont fondés sur un radier commun et des joints de structure sont prévus entre le bâtiment du réacteur et les bâtiments périphériques (BK et BAS 1 à 3). Le groupe permanent estime que la conception de ces bâtiments est de nature à permettre un comportement mécanique favorable du génie civil, notamment en cas de séisme.

L’enceinte de confinement du projet EPR NM est une enceinte simple en béton précontraint. Le choix d’une enceinte simple, au lieu d’une double enceinte comme pour le réacteur EPR Flamanville 3, est motivé par le souhait de simplifier la réalisation du génie civil et justifié par le fait que la construction et l’exploitation de ce type d’enceinte présentent un retour d’expérience favorable.

L’étanchéité de l’enceinte repose en particulier sur la qualité de réalisation de la peau d’étanchéité métallique interne. A cet égard, EDF s’est engagé à réaliser des contrôles de l’ensemble des soudures de cette peau et à démontrer les performances de ces contrôles.

« Le groupe permanent estime que le choix d’une enceinte à simple paroi épaisse avec peau métallique est acceptable compte tenu des exigences retenues pour les joints de structure à l’égard notamment des agressions externes et de l’incendie. »

Nous sommes bel et bien en présence d’une démarche de simplification. De l’aveu même de l’exploitant nucléaire, l’EPR2 repose sur un design simplifié pour faciliter la construction du génie civil et les montages électromécaniques :

  • Simplification du génie civil des unités de production et des paires de réacteurs. Ces paires sont constituées de bâtiments identiques translatés et de bâtiments mutualisés (traitement des effluents, exploitation et logistique)

  • Bâtiment réacteur composé d’une enceinte à paroi épaisse avec liner

  • Protection de la station de pompage par séparation géographique

  • Suppression du bâtiment des auxiliaires nucléaires

  • Optimisation des boucles d’épreuve hydraulique

  • Implication des fournisseurs dès la conception pour améliorer la constructibilité

Ce qui n’est pas sans incidence sur la conduite et la surveillance du réacteur puisqu’EDF renonce à la possibilité d’une maintenance en puissance (3 trains de sauvegarde) et abandonne l’option entrée dans le bâtiment réacteur en puissance, générant la suppression du « 2 rooms concept ». Le pire est à suivre…

Le système d’évacuation ultime de la puissance de l’enceinte

La conception du système d’évacuation ultime de la puissance de l’enceinte (EVU) du projet EPR NM est similaire à celle qui a été retenue pour le système EVU du réacteur EPR Flamanville 3. EDF n’a donc pas retenu des dispositions de conception qui permettraient de limiter le recours à des moyens actifs, de réduire la recirculation de fluide fortement radioactif à l’extérieur de l’enceinte de confinement en cas d’accident grave, de façon à limiter les risques de bipasse du confinement, et de pallier les risques induits par une indisponibilité éventuelle à court ou à long terme du système EVU sur le confinement lors d’un tel accident.

Des éléments justifiant ce choix de conception ont été transmis à l’IRSN pendant l’instruction du dossier d’option de sûreté sans qu’on en connaisse la teneur. La seule chose que l’on sait est que ces éléments doivent être encore complétés par EDF d’ici la demande d’autorisation de création.

« Pour ce qui concerne les risques de fuite du système EVU, le groupe permanent estime que l’installation d’un système de réinjection de ces fuites dans le bâtiment du réacteur est satisfaisante sous réserve que l’exigence d’étanchéité associée au circuit EVU en situation d’accident grave puisse être vérifiée en exploitation, ce qui le conduit à formuler la recommandation n°3 en annexe au présent avis. »

Le groupe permanent note que, pour pallier les risques induits par une défaillance éventuelle du système EVU lors d’un accident avec fusion du cœur, EDF a prévu d’étudier des dispositions de « résilience » fondées sur la valorisation de dispositions existantes dans l’installation ou sur des moyens externes au site. La nature de ces dispositions et les fonctions qui leur sont associées restant à préciser, le groupe permanent formule la recommandation n°4 en annexe au présent avis. »

En tout cas une chose est certaine, la volonté d’EDF de revenir à une conception de l’îlot comparable à celle des paliers les plus anciens n’est en aucun cas une garantie de sûreté et encore moins de robustesse globale du réacteur en situation accidentelle… au péril de la radioprotection comme on l’a constaté à Taishan .

C’est toute l’architecture du nouveau type de réacteur qui pose question en dépit des efforts de communication de l’exploitant nucléaire. Si des efforts ont été faits pour prendre en compte une brèche sur les circuits VVP, sujet d’inquiétude majeur à Flamanville , d’autres fragilités apparaissent avec l’EPR2 qui décidément est bien éloigné des attentes formulées par l’AIEA à la suite de la catastrophe de Fukushima

Circuit primaire

Ainsi la conception du circuit primaire principal semble comprendre quelques fragilités préoccupantes. Si ce circuit, qui comprend quatre boucles, reprend les choix technologiques du réacteur EPR Flamanville 3, il connaît quelques modifications substantielles comme l’ajout de piquages pour le système de borication de sécurité (RBS). La conception générale de la cuve quant à elle est inchangée alors que l’expérience de Flamanville est particulièrement inquiétant pour ce composant essentiel. Problème d’autant plus grave que l’augmentation de puissance recherchée par l’exploitant de manière à réaliser une conduite en suivi de charge reste inchangée. D’aucuns parient encore sur la possibilité d’un accroissement de la puissance linéique du cœur qui se ferait sans effets majeurs sur l’ensemble des circuits et composants.

Tout cela est pour le moins hasardeux alors que toute la lumière n’a pas encore été faite sur les défauts de fabrication des cuves EPR. Si les mêmes causes provoquent les mêmes effets, on est en droit de douter qu’EDF puisse aujourd’hui garantir que la conception et la fabrication de la cuve d’un EPR2 permettent d’atteindre le niveau de robustesse requis par la réglementation applicable aux équipements sous pression nucléaire.

Le groupe permanent d’expert n’est pas dupe. Il demande que le retour d’expérience de la fabrication des cuves des réacteurs EPR en cours de construction ou de mise en service soit pris en compte regrettant de manière implicite que les choix technologiques pour la fabrication des grosses pièces de forge ne sont pas encore définis. Et il recommande que les éventuels besoins de qualifications nouvelles de procédés devraient être identifiés en amont d’une éventuelle demande d’autorisation de création d’un réacteur EPR NM.

S’agissant des défaillances des tuyauteries, le groupe permanent note qu’EDF reprend les hypothèses du référentiel « Rupture de tuyauterie à haute énergie » du réacteur EPR Flamanville 3, sauf pour les ruptures de tuyauteries à haute énergie véhiculant un gaz à basse pression, qui ne sont plus considérées.

« Le groupe permanent souligne que plusieurs systèmes peuvent être amenés à fonctionner en recirculation en aspirant de l’eau dans le réservoir IRWST (In-vessel retention water storage tank) implanté au fond du bâtiment du réacteur et en la réinjectant dans le circuit primaire ou dans l’enceinte. Des dispositifs de filtration sont prévus pour empêcher que des débris se trouvant dans l’eau ne perturbent le fonctionnement de ces systèmes. Le groupe permanent estime qu’EDF devra fournir, dans le cadre d’une éventuelle demande d’autorisation de création d’un réacteur EPR NM, une démonstration robuste de la fiabilité de la fonction de « recirculation » dans les situations de perte de réfrigérant primaire et d’accident grave. A cet égard, des efforts notables de conception restent nécessaires, notamment pour ce qui concerne les calorifuges et le dimensionnement des dispositifs de filtration. »

EDF propose d’appliquer une démarche d’exclusion de rupture aux tuyauteries principales du circuit primaire principal (CPP) et aux tuyauteries de vapeur des circuits secondaires principaux (CSP) jusqu’au point fixe en aval de la vanne d’isolement de vapeur. Le référentiel d’application de la démarche d’exclusion de rupture pour l’EPR NM, qui sera transmis à l’ASN fin 2018, sera fondé sur celui mis en œuvre pour l’EPR FA3.

De son analyse, l’IRSN retient, au rang des avantages que procure l’application de la démarche d’exclusion de rupture, des gains significatifs en termes de tracé pour le CPP, mais plus limités pour le CSP. En tout état de cause, l’acceptabilité de la démarche repose en premier lieu sur l’excellence de la qualité de conception et de réalisation qui, pour l’IRSN, n’a pas été suffisante pour les tuyauteries de vapeur principales de l’EPR FA3.

Pour les tuyauteries principales du circuit primaire principal, l’IRSN réserve sa position quant à l’application d’une démarche d’exclusion de rupture dans l’attente d’éléments complémentaires, dont le référentiel de conception, de fabrication et de contrôle en service. Ces éléments devront être transmis sans attendre le RPrS.

Pour les tuyauteries principales des circuits secondaires principaux, l’IRSN estime qu’EDF devra limiter l’application de la démarche d’exclusion de rupture aux seuls tronçons le nécessitant, soit les tronçons des lignes de vapeur situés à l’extérieur de l’enceinte de confinement.

« Le dossier d’options de sûreté du projet de réacteur EPR NM déposé par EDF ne justifie pas suffisamment les avantages et inconvénients d’une telle démarche pour la sûreté et la radioprotection. Par ailleurs, le dossier d’options de sûreté ne présente pas les éléments qui permettront de justifier la haute qualité de conception, de fabrication et de suivi en service de ces tuyauteries. L’ASN considère que le recours à la démarche d’exclusion de rupture de ces tuyauteries des circuits primaire et secondaires n’est pas acceptable, à ce stade, en l’absence de ces éléments et des justifications demandées au point 4 de l’annexe 1 au présent avis. »

Le cœur du réacteur

Force est de constater que les experts publics du nucléaire n’ont guère été convaincus par la proposition d’EDF en 2019. Ils ont non seulement formulé un grand nombre de réserves sur le dossier d’option de sûreté mais émis ce qu’il faut bien appeler un véto sur les ambitions d’EDF de porter la puissance thermique du réacteur de 4 300 MWth à 4.850 MWth.

« Le groupe permanent souligne que certaines de ces adaptations posent question en termes de sûreté. Le groupe permanent estime que l’augmentation de la puissance thermique du cœur envisagée par EDF pourrait réduire certaines marges de sûreté et n’y est donc pas favorable. »

Si des adaptations ont été apportées à la conception pour permettre l’augmentation de puissance visée :

  • Augmentation des dimensions des générateurs de vapeur et du pressuriseur,

  • Augmentation de l’efficacité de l’arrêt automatique du réacteur (AAR) par l’utilisation de grappes noires,

  • Ajout d’une quatrième pompe d’alimentation de secours des générateurs de vapeur (ASG),

  • Ajout d’un système d’aspersion dans l’enceinte (EAS) au vu du profil de qualification des équipements aux conditions d’ambiance dégradées dans l’enceinte de confinement…

Le compte n’y est pas au regard de toutes les remarques rappelées précédemment. Non seulement on peut douter qu’une cuve forgée aujourd’hui puisse contenir durablement une telle puissance mais des inquiétudes réelles et sérieuses portent sur la capacité de l’ensemble des structures, systèmes et composants proposés pour EDF de garantir la sûreté et la radioprotection dans toutes les conditions d’exploitation.

« De manière générale, l’IRSN considère que l’augmentation de la puissance thermique du cœur va à l’encontre de l’augmentation des marges de sûreté que l’on pourrait attendre d’un nouveau modèle de réacteur. Certaines adaptations ont dû être apportées à la conception afin d’accommoder cette augmentation de puissance : l’augmentation du nombre de tubes des générateurs de vapeur pour augmenter le transfert de chaleur vers le secondaire, l’ajout d’une quatrième pompe d’alimentation de secours des générateurs de vapeur (ASG) pour évacuer la puissance résiduelle, l’augmentation de l’efficacité de l’arrêt automatique du réacteur (AAR), l’ajout d’un système d’aspersion de l’enceinte (EAS) pour garantir une marge au vu du profil de qualification des équipements aux conditions d’ambiance dégradées dans l’enceinte… L’IRSN considère que certaines de ces adaptations ne sont pas favorables pour la sûreté. »

Manifestement le « noyau dur » requis à la suite de la catastrophe de Fukushima tel qu’il est envisagé pour l’EPR2 n’est pas suffisant et l’on peut même suspecter qui ne le soit guère en situation normale.

Piscine de désactivation du bâtiment combustible

Ultime point noir des options de sûreté présentées par EDF en 2019, la piscine de désactivation du bâtiment combustible et les systèmes installés pour garantir tout risque de dénoyage des combustibles entreposés ici.

Pour ce qui concerne la conception de la piscine d’entreposage du combustible, le groupe permanent note qu’EDF retient, comme pour le réacteur EPR Flamanville 3, des options de conception qui visent à rendre extrêmement improbables, avec un haut niveau de confiance, les situations de fusion de combustible entreposé ou en cours de manutention dans la piscine du bâtiment du combustible. Compte tenu de l’état actuel des connaissances sur les phénomènes consécutifs au dénoyage d’un ou de plusieurs assemblages combustibles usés, le groupe permanent estime que le choix d’EDF est acceptable.

Les avantages et inconvénients d’autres dispositions envisageables, de nature à limiter les conséquences d’une fusion de combustible dans cette piscine, ont été présentés au cours de l’instruction. Par ailleurs, EDF a examiné différentes dispositions alternatives visant à renforcer la prévention des situations de fusion de combustible dans la piscine d’entreposage. Ces dispositions s’avèrent présenter, selon le cas, un intérêt limité en termes de sûreté, ou des inconvénients.

Le groupe permanent estime toutefois qu’EDF devra justifier, sur la base d’un bilan des avantages et des inconvénients de la conception des lignes d’aspiration du système de refroidissement et de traitement de l’eau des piscines (PTR), la conception qu’il aura retenue pour assurer indifféremment le démarrage et le fonctionnement de l’un des trois trains de ce système en situation d’ébullition de l’eau dans la piscine. Le groupe permanent formule la recommandation n°6 en annexe au présent avis.

« Enfin, le groupe permanent estime qu’EDF doit prendre des dispositions en vue d’exclure toute vidange importante de la piscine BK qui conduirait à un niveau d’eau inférieur au sommet d’un assemblage en cours de manutention. Pour cela, EDF doit considérer l’ensemble des agressions susceptibles d’affecter l’intégrité ou la stabilité du compartiment d’entreposage et retenir préférentiellement des choix de conception permettant de soustraire l’ouvrage aux effets d’une agression ou de limiter les pertes d’eau. »

L’IRSN n’est pas plus tendre avec EDF lorsqu’elle aborde la résilience de l’installation face au risque sismique qui peut avoir des conséquences fatales tant sur le circuit primaire que sur la piscine de désactivation :

« Pour démontrer la capacité des SSC à assurer leur fonction suite à un séisme extrême, EDF propose une nouvelle démarche probabiliste dénommée Design Extension Seismic Capacity (DESC). Sur la base des éléments présentés par EDF au cours de l’instruction, l’IRSN considère que cette méthode n’est pas satisfaisante dans la mesure où elle ne permet pas d’apporter la démonstration de l'intégrité et de la fonctionnalité des SSC requis en cas de séisme extrême, avec le niveau de confiance nécessaire. Elle présente plusieurs caractéristiques qui l’éloignent des méthodes, à la fois robustes et fiables, requises pour justifier le bon comportement des ouvrages et des équipements en cas de séisme extrême. »

On peut donc légitimement douter que la situation de fusion de combustible entreposé ou en cours de manutention comme « pratiquement éliminée » en toute circonstance. Ainsi :

« L’IRSN considère qu’EDF devrait prendre des dispositions permettant d’exclure tout risque de vidange importante de la piscine BK, conduisant à un niveau d’eau inférieur au sommet d’un assemblage manutentionné. Les options de conception actuellement retenues par EDF ou à l’étude devraient permettre d’atteindre cet objectif. En outre, l’IRSN considère qu’EDF doit examiner l’ensemble des agressions susceptibles d’affecter l’intégrité ou la stabilité du compartiment d’entreposage et retenir préférentiellement les choix de conception permettant de soustraire l’ouvrage aux effets d’une agression ou de limiter les pertes éventuelles d’inventaire en eau. »

Pour conclure

Somme toute, l’EPR2 conserve les mêmes fragilités et les mêmes faiblesses que les autres réacteurs nucléaires à eau pressurisée en fonctionnement. S’il intègre quelques leçons de Fukushima notamment « l’introduction d’un certain nombre d’améliorations dans la conception des systèmes de sauvegarde, notamment l’utilisation d’une eau désaérée pour le système ASG ou l’ajout d’un troisième train du système RBS visant à améliorer la maîtrise de la réactivité dans les situations accidentelles », la capacité de faire face à des effets falaises et à des agressions extérieures est globalement identique à celle de l’EPR voire moindre.

Le saut technologique proclamé par EDF n’a pas eu lieu comme le note l’IRSN en conclusion de son avis soumis au groupe permanent d’expert en 2019. Tout au plus nous sommes en présence d’un « choc de simplification » appliquée à la technologie EPR :

Des solutions plus efficientes auraient pu être envisagées pour mettre en œuvre de nouveaux systèmes de sauvegarde en particulier pour l’évacuation ultime de la puissance de l’enceinte ou le refroidissement des piscines. Mais cela aurait sans doute généré des coups trop importants pour le maitre d’ouvrage manifestement plus soucieux du prix du kWh que de la robustesse de son installation….