Bilan du débat public EPR2

Le débat public sur le projet d’EDF de construire 3 paires de réacteurs de type EPR2 touche à sa fin. Curieuse séquence s’il en est. Elle aura été riche d’enseignement tant sur la vitalité de la démocratie participative, que sur la filière nucléaire et sa contestation. Voilà le bilan que nous en tirons

Guillaume Blavette

2/24/202317 min read

Un débat public mal emmanché

C’est la loi qui requiert que pour les sujets de grande ampleur, le maitre d’ouvrage sollicite la Commission nationale du débat public pour organiser un débat public, c’est-à-dire une procédure d’information dont l’objet est de recueillir des avis sur opportunités, modalités et objectifs du projet.

EDF s’est donc plié à cette règle dans le cadre du processus d’autorisation du renouvellement du parc nucléaire annoncé à Belfort en février 2022 à Belfort par Emmanuel Macron, président candidat à sa réélection. Le 14 février 2022, la CNDP est saisie non pas tant pour la construction de 6 EPR mais sur un « nouveau programme nucléaire français » porté par EDF en tant que chef de fil de la filière nucléaire française… cela alors qu’une concertation du public est aussi annoncée en amont d’une loi de programmation énergie climat dont l’examen est prévu au printemps 2023.

Quand le 3 mars 2022, la CNDP a rendu sa décision, elle considère que « le débat public devra s’inscrire dans la continuité de la participation préalable du public à la concertation nationale portant sur les travaux de préparation du projet de loi… » D’emblée le débat public EPR2 est subsumée à une autre procédure considérée comme déterminante. Il ne portera donc que sur une déclinaison de choix énergétique définie selon une autre procédure considérée comme déterminante. Et les choses vont très vite.

Le 14 avril, la CNDP nomme un président de CPDP lui recommandant de :

« Stabiliser le périmètre des questions débattues : au-delà du projet de construction d’une première paire de réacteurs EPR 2 à Penly, et conformément à l’avis n°2022/53 de la CNDP le débat doit porter sur les résultats du programme de travail sur le nouveau nucléaire défini par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) arrêtée par décret du 21 avril 2021. Ce programme de travail visait en effet selon les termes de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE)à « permettre une prise de décision sur le lancement éventuel d’un programme de construction de nouveaux réacteurs », et donc à préparer les décisions législatives et réglementaires nécessaires à la mise en œuvre de ce programme. »

Sauf que les choses ne sont pas si simples. L’élection présidentielle suspend le calendrier. Si un ministère spécifique en charge de la transition énergétique est créé au prix d’un démantèlement en bonne et due forme de l’ancien « grand » ministère de l’environnement fondé par Jean-Louis Borloo, aucune décision n’est prise au cours de l’été 2023. L’articulation forte avec la concertation sur le système énergétique global menée par le gouvernement en prend un coup.

Très concrètement, le gouvernement s’assoit sur l’avis 2022/53 rendu par la CNDP le 6 avril 2022. Il s’opère une inversion du calendrier pour le moins surprenante. Le 7 septembre, la CNDP finalise l’organisation du débat public en fixant son calendrier… sans que le gouvernement n’ait pris la peine de préciser modalités et calendrier de la fameuse concertation national climat énergie qui n’est annoncée que le 20 octobre.

On est donc en présence d’un débat public dont la préparation a commencé dès l’été avec la mise en œuvre d’une démarche de controverse technique et d’une mini concertation nationale sur deux mois consistant principalement en un tour de France des régions et en un forum de la jeunesse proposant à chacun de s'exprimer sur un site dédié... sans qu'on sache vraiment comment ces avis seront pris en compte.

Curieuse configuration s’il en est puisque le public est de fait amené à s’exprimer d’abord sur les modalités du renouvellement du parc nucléaire avant de participer au choix technologiques et énergétiques dont ce programme n’est qu’une possibilité. Pour le dire autrement, la charrue se retrouve avant les bœufs alors que pour beaucoup tout cela concourt à imposer l’irréversibilité de l’option atomique face aux autres options qui se présentent.

Le débat public s’ouvre donc une semaine après le lancement officiel de la concertation nationale marquée par une intervention massive, coordonnée et résolue des partisans de l’atome et des organisations qui les représentent. Le ton était donné, les deux procédures de participation du public seront l’occasion pour les pronucléaires d’une démonstration de force à la mesure de la faiblesse du mouvement antinucléaire en pleine déshérence... qui ne trouve rien de mieux à faire qu'à demander l'organisation d'un Débat public sur la relance du nucléaire au moment même où commence le débat public EPR2...

Un débat public investi massivement par les pronucléaires

Un bilan du débat public EPR2 ne peut se faire dans le vide et sans comparaison. Ainsi est-il pertinent de regarder ce qui s’est passé depuis le 27 octobre 2022 à la lumière du précédent débat public relatif à un projet atomique, le projet Penly 3 qui avait été l’objet d’un débat public en 2010. Comparaison d’autant plus intéressante qu’elle porte sur le même territoire et implique les mêmes acteurs.

Tout d’abord, il apparaît que les partisans du nucléaire se sont considérablement renforcés et disposent de relais locaux actifs et résolus. Si en 2010, ils se faisaient discrets, aujourd’hui ils mobilisent en séance et surtout sur les réseaux sociaux bien plus que les antinucléaires. Non moins de 4 organisations pronucléaires ont participé au débat public EPR2 dont 3 dès la démarche de controverse : les EPN, la SFEN, la Voix du nucléaire et le Cérémé. Non seulement ces militants ont fait valoir leur engagement en faveur de la relance de la filière nucléaire mais surtout ils ont exercé un feu nourri contre les antinucléaires et surtout la CPDP suspectés de favoriser les opposants au projet EPR2.

Les réseaux sociaux dès les premières séances du débat public ont été un véritable champ de bataille. Les partisans de l’atome de manière organisée et coordonnée ont déployé un feu nourri sur tout ce qui pouvait mettre en cause la nécessité du programme présenté par EDF. Tout était bon pour discréditer réserves et autres contestions. Ainsi, non sans habileté, ils ont réclamé un « fact cheking » dans l’espoir d’invalider paroles et arguments qu’ils n’acceptent pas. Le moindre écart ou la moindre maladresse était exploitée longuement de façon à détourner l’attention de ce qui était dit… comme à Saclay où a été exploitée une maladresse de langage de Bernard Laponche pour bloquer le dialogue nécessaire sur l’opportunité de recourir à la technologie atomique.

Si d’aucuns voulaient entraver le débat, ils ne s’y seraient pas pris autrement. La CPDP l’a clairement perçu et a très rapidement mis en œuvre un système de modération lors de chaque diffusion des séances du débat public. Mais si l’action des partisans de l’atome a été jugulée, ils ont continué à dominer le dialogue à distance fort de leur nombre et d’une stratégie d’intervention solide. Très concrètement on peut estimer à 1 à 4 voire cinq, le rapport de force entre partisans et adversaires du programme EPR2. Déploiement de force pour le moins notoire qui n’est pas sans rappeler ce que l’on avait pu constater à l’occasion du débat public sur la PPE en 2018 à l’occasion duquel le forum du débat avait été submergé par les pronucléaires… alors que cet enjeu n’était pas explicitement au cœur de la discussion.

Mais un autre fait donne à voir un « retour en grâce » du nucléaire à peine plus de dix ans après la catastrophe de Fukushima. Il s’agit de la mobilisation et des interventions des syndicalistes. Cette fois-ci point de prise de position réservée des travailleurs du nucléaire et encore moins de contestation. Les syndicats sont intervenus résolument en soutien à leur patron dès les premières minutes du débat public témoignant d’une foi indéfectible dans l’atome et ses vertus. Point de trimardeurs du nucléaire ou de syndicats critiques comme 2010. Même le très critique mouvement MaZoneControlée.com est resté pour le moins discret se contenant de revendiquer de manière fort convenue une meilleure reconnaissance des précaires de la filière nucléaire.

Du côté des élus, le constat est tout aussi affligeant. Ce débat public n’a vu l’intervention d’aucun élu de premier plan si ce n’est le très nucléophile Sébastien Jumel en sa circonscription à Dieppe. La plupart des élus qui sont intervenus sont des élus locaux proclamant leur foi dans l’atome et manifestant une attente forte de l’EPR2 pour lequel de nombreuses décisions ont déjà été prises au niveau local. Les mêmes arguments éculés sont revenus en boucle, d’aucuns espérant avant tout des emplois et quelques points de croissance quels que soient les impacts et les risques. Tout au plus des réserves sur le foncier se sont exprimées donnant à voir que derrière une acceptation de principe se cachent des conflits d’usage.

En tout cas une chose est certaine, les partisans de l’atome et leurs alliés ont été présents en nombre et en force avec une résolution qui rappelle le débat public sur le premier EPR dans le Nord Cotentin. Si l’opinion publique est restée éloignée du débat public, les corps constitués des territoires en écho aux partisans de l’atome ont donné à voir une réelle acceptabilité locale d’un nucléaire perçu comme providentiel.

Le débat public lors de ses séances publiques a finalement permis l’affirmation d’une grande diversité de partisans du projet présenté par EDF à rebours des thématiques choisies par la CPDP. Ainsi ce fut la séance du petit-Caux qui attira le plus large public parce qu’elle a abordé ce qui intéresse concrètement les gens, à savoir l’impact économique… sans que les aspects environnementaux pourtant à l’ordre du jour soit réellement abordés en raison d’une mobilisation des opposants tout aussi modeste qu’inconsistante.

Un débat public qui marque l’effondrement intellectuel et stratégique du mouvement antinucléaire

Le fait le plus marquant de ce débat public est probablement l’intervention du président du Réseau action climat au Tréport sous le couvert de ses fonctions universitaires qui n’a même pas remis en cause l’opportunité du projet de renouvellement du parc nucléaire. Prestation pour le moins consternante qui s’est résumée à un commentaire froid des données de RTE et du Ministère de la transition écologique.

Le signe ne trompe pas. Quand la fédération des grandes organisations écologistes de France ne participe n’y ne relaie les actions de ses quelques membres qui participent au débat public, c’est bien que quelque chose ne va pas dans les rangs des défenseurs de l’environnement. A croire que décidément certains n'osent plus guère assumer une opposition publique à l'atome... probablement pour ne pas fragiliser le front climatiste qui compte de nombreux pronucléaires et autres anti-éoliens !

Et si l’on regarde les choses de plus près, la situation est pire encore. Lors de la séance d’ouverture à Dieppe, Greenpeace a pu compter sur une grosse poignée de militant(e)s pour tenir une banderole et accompagner la jeune campagneuse énergie. Rien à voir avec 2010 lorsque les manifestants étaient au bas mot deux fois plus nombreux, que plusieurs groupes locaux étaient représentés, que Greenpeace France avait pu compter sur la venue de l’Esperanza à Dieppe pour marquer une opposition résolue au nucléaire et le soutien au projet de parc éolien en mer au large du Tréport.

Très concrètement à part quelques vétérans de 2010, bien peu dans les rangs écologistes se sont investies dans ce débat public. Seul un groupe infime de militant(e)s a suivi chaque séance en présentiel ou en ligne. Tout au plus la configuration retenue par le prestataire de la CPDP aura permis deux ou trois prises de paroles antinucléaires. Même si l’opposition au projet était présente en tribune, force est de reconnaître qu’elle est toujours restée minoritaire parmi le public.

Pire encore, si en 2010 la mobilisation des antinucléaires et des précaires de la filière atomique avait donné le tempo du débat public, rien de tout cela n’a pu avoir lieu en 2022. Non seulement les contestataires étaient mal préparés à ce débat public mais ils ont été incapables de concevoir une stratégie d’apparition et d’affirmation. Le faible nombre des cahiers d’acteur publiés le montre très concrètement.

Comment s’étonner dès lors que Greenpeace et le Réseau à peine après avoir pris la décision de participer au débat public n’aient eu d’autres souci que d’en sortir ?

Faute de combattants, il est effectivement bien difficile de mener une guerre surtout quand celle-ci fait face à une force organisée et résolue comme nous l’avons exposé précédemment. Ainsi ce débat public et surtout la concertation nationale énergie n’ont donné lieu à aucune mobilisation à la mesure des enjeux tout au long de l’automne. Et il aura fallu attendre février, cad la fin du calendrier du débat public, pour qu’une manifestation soit prévue… qui au final aura réunie une centaine de participants !

Et comme l’opposition n’a été ni organisée ni structurée, la critique du nucléaire s’est donc exprimée sur le mode le plus contestataire qui soit non pas tant contre le projet mais contre la procédure de débat public. A Lille puis à Lyon, des activistes sont intervenus pour bloquer le débat sans prendre la peine de développer un argumentaire digne de ce nom. Chacun au grand plaisir des pronucléaires a été exposé à un discours pour le moins inconsistant reprenant tous les arguments classiques pour ne pas dire éculés contre l’industrie nucléaire sans jamais aborder concrètement l’enjeu du débat, à savoir la relance d’une filière aux abois.

On est là face à une tendance forte du mouvement antinucléaire qui privilégie les slogans vides et les actions spectaculaires à une critique effective des usages de l’atome. Et l’on voit asséner toujours les mêmes arguments faute d’un travail effectif sur le fonctionnement et les écarts de la filière nucléaire. Ainsi le festival rouennais organisé initialement pour faire face à la séance de clôture du débat public propose une critique du nucléaire pour le moins hors sol privilégiant la promotion des énergies renouvelables et de l’écoféminisme à une dénonciation du programme nouveau nucléaire français et de l’industrie atomique… le tout mis en œuvre par des gens qui ne se sont jamais investis le moins du monde sur le dossier nucléaire !

Tout au plus, le public est exposé à quelques slogans et autres déclarations de bonnes intentions comme le montrait le tract affiché par les activistes à Lille. Posture pour le moins médiocre qui donne à voir que le nucléaire est au mieux un enjeu de positionnement et non pas un objet de lutte. Posture qui ne redoute rien tant que faire œuvre d’éducation populaire faute de connaissance et d’un intérêt effectif pour la question atomique.

Un débat public saboté

Mais finalement qui a grand-chose à faire d’organisations qui cherchent notoriété et pouvoir et non une quelconque efficience ?

Pas grand monde… ces gens-là ne parlent qu’entre eux suscitant au mieux de l’indifférence dans le grand public...

Un boulevard s’est ainsi ouvert aux acteurs de la relance de l’industrie nucléaire. Dans un contexte général favorable à l’atome dans une société sidérée par l’ampleur et la rapidité du changement climatique. Faute d’une opposition suffisamment robuste, ce qu’on peut appeler le lobby nucléaire est passé à la manœuvre… profitant une fois encore de l’incompétence crasse de la classe politique.

Parce que c’est bien de ce côté-là que les coups les plus durs ont été portés au Débat public en général et au débat EPR2 en particulier. Nous l’avons vu, l’organisation du débat public n’a pas été facilité par un gouvernement soucieux de mettre en œuvre sa propre consultation du public non sans poser quelques menus problèmes de calendrier. Il n’en fallait pas plus pour distraie le public intéressé par les question énergétiques, d’aucuns privilégiant la concertation nationale dont l’objet est plus large que le débat public. A Rouen, la réunion organisée par la DREAL de Normandie a ainsi regroupé un public plus large et plus concerné que les séances normandes du débat public EPR2. Un véritable débat a eu lieu sur la politique énergétique, les besoins des collectivités locales et les opportunités industrielles existant sur le territoire… débat bien plus riche que les séances du débat public marquées par des interventions pronucléaires mues en dernier recours par des considérations économiques à court terme.

Mais d’aucuns ne se sont pas satisfait de fragiliser le débat public, ils l’ont délibérément shunté par la présentation en urgence au parlement d’un projet de loi d’accélération du nucléaire. Avant même que la CPDP remplisse sa mission, le gouvernement a donné à voir sa volonté de changer les règles de manière à accélérer une relance du nucléaire avant même qu’elle soit décidée. Bénéficiant déjà de nombreux privilèges au regard du droit commun, la filière nucléaire s’est trouvée confortée un peu plus encore au moyen de quelques dérogations ou plutôt exemptions lui épargnant de se soumettre à des procédures requises par le code de l’urbanisme et le code de l’environnement. Procédures particulièrement contraignantes pour le projet EPR2 à Penly…

Si ce n’est que les pronucléaires ne se satisfont jamais des cadeaux qui leur sont faits. Au Sénat, ils ont franchi un pas supplémentaire à l’occasion de l’examen de la loi d’accélération du nucléaire. Au-delà des intentions du gouvernement, ils ont agrémenté le texte initial de deux petits détails qui cassent la Loi de transition énergétique d’aout 2015, à savoir la suppression du seuil des 63.2 GWe et la remise en cause de la baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique français. Formidable coup de théâtre s’il en est puisque la loi sera votée définitivement qu’au printemps prochain. Formidable coup de théâtre qui conforte la résolution du gouvernement à mener tambour battant la relance du nucléaire, le président espérant que les premiers bétons soient coulés à Penly avant la fin de son mandat.

Comment donc mener un débat public sur le renouvellement du nucléaire face à un tel déploiement de forces et à une résolution aussi forte de partisans de l’atome ?

Et ils n’y sont pas allés de main morte les thuriféraires de l’atome. L’événement le plus marquant de l’affirmation de la foi dans l’atome est la mise en place de la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France. Il s’agit rien de moins que d’un comité de salut atomique dont l’ambition est de déterminer les causes de la perte de maitrise de l’approvisionnement en électricité qui serait la conséquence d’un abandon du nucléaire. Pour ce faire on a assisté à un déploiement de jérémiades et autres plaintes mues par le seul souci de sortir de « l’hiver nucléaire » pour retrouver la voie de la puissance ouverte par le général de Gaulle et accessoirement de la prospérité.

Ainsi le Conseil de politique nucléaire du 3 février 2023 a-t-il pu statuer sans tenir compte le moins du monde du débat public et des avis formulés lors de la concertation pour une relance spectaculaire du nucléaire non sans satisfaire aux ultimes doléances d’EDF si géné par l’indépendance et les travaux de l’Institut de radioprotection et de sureté nucléaire. Non content de casser le droit de l’environnement, le gouvernement statue en faveur d’une remise en cause du dispositif qui a assuré l’excellence du contrôle des installations nucléaires depuis presque 25 ans. Décision pour le moins surréaliste au regard du souci fort en faveur de la sûreté nucléaire qui s’est exprimé tout au long du débat public.

Mais un débat public instructif et utile

Toujours est-il le débat sur la relance du nucléaire a eu lieu… pour l’essentiel en dehors et en dépit du Débat public EPR2. Malgré les efforts de la commission particulière pour déployer un dispositif qui recueille une grande diversité d’avis grâce à des moyens inédits, le débat public en tant que tel est passée au second plan alors que la question nucléaire n’a jamais été aussi présente sur la scène publique.

Comme souvent les médias nationaux ne se sont guère intéressés à cette procédure ne contribuant guère à concerner un large public. Tout au plus ils ont rendu compte des tensions entre le gouvernement et la CNDP et surtout de l’indignation suscitée par le vote du Sénat. Pour l’essentiel ce sont les médias locaux qui ont couvert le débat public offrant des tribunes à la CPDP lors de chaque séance publique sans pour autant aborder les enjeux de fonds et informer pleinement leur auditoire.

On touche là à un problème structurel auquel la CNDP est exposée depuis sa fondation et les premiers débats publics. Un ensemble de préjugés fragilise l’audience de cette démocratie participative que beaucoup considèrent comme technique, élitiste voire inutile. Il faut dire que le système médiatique n’aide pas alors que les maitres d’ouvrages sont souvent parmi les premiers annonceurs qui font vire la PQR et de nombreux autres médias. Rendre compte en détail des débats et des oppositions qui s’y expriment reviendrait à mordre la main qui vous nourrit…

Ainsi le débat public sera passé de manière furtive dans une actualité très riche polarisée sur les questions sociales et économiques. Fait pour le moins surprenant alors que l’énergie participe grandement de l’érosion du pouvoir d’achat des ménages et de la vitalité des entreprises…

Si le lien entre nucléaire est sécurité des approvisionnements en électricité a été perçu par beaucoup, bien peu ont perçu l’opportunité de participer au Débat public pour revendiquer une réforme profonde du modèle et du système énergétique français. Bien au contraire, le débat public n’est pas apparu comme un enjeu majeur alors que la question du moment portait sur la sauvegarde en dernier recours d’EDF sans aborder les enjeux technologiques qui se cachent derrière.

Tel est l’écart le plus notoire entre le Débat public de 2010 et celui-ci. Il y a 12 ans, à l’issue du Grenelle de l’environnement, existait une véritable dynamique en faveur de la transition énergétique et des réserves fortes sur l’opportunité le nucléaire face au spectacle de Flamanville. Tout cela a disparu depuis. Bien au contraire, la transition énergétique est l’objet de soupçon voire d’oppositions farouches. La question climatique submerge désormais débats et revendications écologistes amenant un très grand nombre à considérer le nucléaire comme un mal nécessaire. Il aura fallu à peine dix ans au lobby nucléaire pour refermer la parenthèse écologique dont Nicolas Hulot a été l’incarnation la plus populaire. Du souci de la nature et de la transition vers un modèle sobre ancré dans les territoires, on est passé à la peur de manquer de courant et à la défense des emplois industriels quel qu’en soit le coût économique et environnemental.

Comment dès lors réussir un débat public dans un tel contexte ?

Le pari de Chantal Jouanno et de Michel Badré était donc très osé. Ils ont tenu à organiser ce débat dans un contexte globalement favorable à une relance industrielle et à la pérennisation d’une technologie nationale drapée de toutes les vertus par ses partisans et bénéficiant d'un soutien résolu de la présidence de la République.

Pour autant, on ne peut que se féliciter que contre vent mauvais, la CPDP a pu jusqu’au bout remplir sa mission. La plateforme participative a connu un réel succès au regard d’autres débat public avec 1425 contributions et 414 questions… 6 fois plus qu’en 2010. Si les réunions publiques n’ont pu accueillir une large assistance si ce n’est au Petit-Caux, les diffusions en direct ont bénéficié d’une large audience et d’une incroyable vitalité.

Le débat mal emmanché a pu se tenir malgré tout. Chaque séance a été riche d'informations donnant à voir la fragilité du projet proposé par EDF en particulier sur le plan économique. Et la décision du 8 février 2023 honore la CNDP qui envers et contre tout persévère dans son rôle posant la question de fond à savoir celle de la participation du public dans la gouvernance des projets nucléaires ?

En effet le nucléaire pose en dernier recours une question démocratique face à l’intransigeance d’un chef de l’Etat qui non seulement propose une relance de ma filière atomique mais met tout en œuvre pour imposer l’irréversibilité de ses choix dans un déni de la réalité qui pousse à la consternation !

Parce qu’une chose est certaine : comme l’a donné à voir ce débat public, si le nucléaire compte de nombreux partisans, il ne fait l’objet ni d’un consensus ni même d’une acceptabilité économique